Rudolf Steiner : sa relation à la science et à la théorie de la connaissance


Pour Jost Schieren de l'Université d'Alanus : "la plupart des arguments pour la non-scientificité de l’anthroposophie se rapportent à l’ésotérisme anthroposophique, qui n’est pas considéré comme valable parce qu’il ne se laisserait pas suivre scientifiquement par la pensée. Il s’agit du problème d’une cognition suprasensible qui ne remonte exclusivement qu’à des affirmations de Rudolf Steiner, lesquelles ne peuvent être vérifiées par un tiers. Des anthroposophes offrent ici un crédit de confiance qui sans doute ne peut pas être présupposé. À cette problématique on ne pourra que changer peu de choses à long terme. En rapport aux déclarations ésotériques de Rudolf Steiner, affirmer la scientificité de l’anthroposophie apparaît comme une tentative hardie peu promise au succès sur de longues années. 

Pourquoi une vérité scientifique Est-elle toujours provisoire ?

Il n'y a pas de vérités en science, il n'y a que des théories. Elles sont vraies jusqu'à preuve du contraire. C'est le doute, la remise en question permanente qui fait la science, pas la certitude. Elle évolue donc en permanence, en fonction de l'état des connaissances du moment, contrairement aux dogmes. Un consensus scientifique est donc une vérité établie sur un ensemble de preuves vérifiables, acceptée par la communauté scientifique, valable pour une période donnée en fonction des connaissances de l'humanité à cette période.

Quelles sont les erreurs de la science ?

 le conflit d'intérêt, l'appât du gain, l'auto-persuasion, la concurrence narcissique, l'aveuglement, la supercherie, l'absence de preuve, l'idéologie politique, etc. Des biais cognitifs donc !

 On peut éventuellement requérir ici un autre concept de science, qui vise plutôt à développer l’empirie intérieure ou aussi l’évidence intérieure, ce qui est paraît sensé, en principe, mais pourtant, cela rendrait nécessaire au total un changement de paradigme de l’exercice scientifique, qui ne peut être mis en oeuvre par l’anthroposophie seule. Il en ira bien plutôt que le paradigme scientifique dominant actuellement en viendra de lui-même à son déclin, parce que l’image technocratique du monde et de l’être humain amène avec elle de plus en plus de malheurs et de destructions (effondrement social, nuisances environnementales et climatiques et autres). Une remise en cause naissante d’un paradigme scientifique et matérialiste, qui produit ces conséquences, peut donc ensuite mener, en tant qu’effet annexe, à un plus grand intérêt porté à l’anthroposophie. Celles-ci sont plutôt des perspectives à long terme."(...)

"Un autre champ de problèmes, dans une certaine mesure plus important, se révèle dans l’oeuvre philosophique de Steiner qui repose à la base de son ésotérisme. Un caractère distinctif considérable acquiert ici une grande portée : la théorie scientifique actuelle, dans la foulée de la philosophie positiviste dominante, a pris congé de toute forme de philosophie essentialiste. La philosophie essentialiste signifie une forme de philosophie qui tente de se référer aux vérités que l’on fonde de manière ultime. C’est le cas dans la philosophie idéaliste, par exemple, chez Platon et aussi chez Hegel et Schelling. La philosophie moderne, et avant tout le rationalisme critique et les argumentations de théorie de la connaissance de Karl Popper, se tournent rigoureusement et radicalement contre la philosophie essentialiste et certes, sur la base du penser des sciences naturelles, qui recherche des preuves expérimentales pour des théories existantes. Ici la possibilité est admise, en principe, que de nouvelles expériences puissent réfutées les théories existantes. Popper appelle cela le principe de falsification qui accepte la validité de toute théorie seulement dans l’éventuelle perspective de sa réfutation sur la base de nouveaux faits expérimentaux concrets. Paul Feyerabend s’est installé dans une opposition essentielle à Karl Popper. Cependant même son pluralisme méthodologique requis n’a rien changé à l’attitude scientifique anti-essentialiste du temps présent. Il est intéressant de noter que l’argumentation de Popper, dans son ouvrage « La société ouverte et ses ennemis » (Popper, 1992) soit moins philosophiquement achevée et il s’en acquitte davantage au plan historique, ou selon le cas, sociologique. Popper voit dans la philosophie essentialiste un danger sociétal. Car toute philosophie surgissant en ayant une revendication de vérité diffame automatiquement des évaluations contraires comme non véridiques. Selon Popper, ici se trouve les sources de la tyrannie, du dogmatisme et du fanatisme. Sur l’arrière-plan d’une telle attitude fondamentale, que l’on rencontre dans la plupart des facultés des universités actuelles, l’anthroposophie est quasiment déterminée à être critiquée et à passer pour non scientifique. Il semble pour cette raison plus convenable de caractériser l’anthroposophie comme un cheminement cognitif, qui laisse plutôt ouverte en soi la perspective de vérité et la possibilité de s’en approcher.(...)"

Mais alors, penchons-nous à présent sur ce que Steiner a identifié de façon singulière comme écueil aux différentes théories de la Connaissance :
Wolfgang Schad (biologiste et paléontologue universitaire) dans son ouvrage "Steiner et sa relation  à la science" nous précise que Steiner s'est rattaché à l'idée d'évolution de Darwin qu'il a qualifié "d'acte spirituel le plus important de la seconde moitié du 19ème", et il a poursuivi sa démarche pour ce qui est des possibilités d'évolution psychique et spirituel de l'être humain, donc dans son domaine à lui. Cela l'a conduit,"sans rupture",selon sa propre expression,à la pensée de la réincarnation de l'esprit humain, et il en appela pour ce faire à la pensée en métamorphose de Goethe. Lessing en avait envisagé l'issue en conclusion de son Education du genre humain dans laquelle il reliait l'idée d'immortalité à celle de réincarnation.





Le monisme abordé dans sa Philosophie de la Liberté comme position philosophique peut finalement prendre 4 formes :
  1. Seules existent la matière et les énergies mortes qui accompagnent celles-ci.
  2. Seule existe la conscience,et le monde que nous percevons n'est là qu'à titre hypothétique,car tout est esprit.
  3. La matière, la vie,l'âme,l'esprit et Dieu sont une seule et même chose. La matière contient déjà l'esprit; elle est capable de s'auto-organiser.
  4. En dehors de l'être humain,le monde appréhendé par le corps et le monde appréhendé par l'esprit ne sont pas séparés. En l'homme,cependant, ils apparaissent comme une dualité et doivent être de nouveau réunis par lui;c'est en cela que consiste l'activité de connaissance.
  •  La première conception est celle que défendent aujourd'hui la plupart des scientifiques ( du moins officiellement car en privé on entend souvent d'autres choses).
  • La deuxième conception a été soutenue par Berkeley et Kant par exemple;on la retrouve aujourd'hui dans le structuralisme.
  • La troisième vit dans la biologie actuelle,cachée sous la formule "auto-organisation de la matière". 
  • Alors que les trois premières forment représentent des formes statiques,la quatrième est évolutionnaire, dynamique, c'est celle que défend Steiner : le monisme est le contenu du monde. Dans l'homme,ce contenu "un" se dissocie pour apparaitre de façon dualiste, d'un côté : comme donné sensible (perception des phénomènes),
  • de l'autre, dans le penser humain (concepts). 
  • L'acte de connaissance, chaque fois neuf consiste à réunir ces deux aspects de la réalité.

 Il existe pour Steiner,au sein du monde dont on peut faire l'expérience,une expérience spécifique qui,en outre,établit la cohérence des autres expériences : c'est l'expérience que l'on fait dans sa propre pensée quand on "accueille"et non pas quand on fabrique-des concepts et des idées qui, seuls,rendent compréhensibles les données des sens. La pensée, en effet,perçoit la cohérence des données de la même façon que les organes sensoriels perçoivent ces données elles-mêmes. Aucun microscope électronique,aucun ordinateur,aucun disque dur,aucune bibliothèque au monde ne produisent ni ne conservent un véritable savoir tant qu'un esprit humain ne rend pas ce contenu compréhensible pour lui-même.(...) Toute observation de la pensée montre que penser est une activité spirituelle. Tout cela était déjà clair pour Aristote et pour Hegel.



Mais Steiner revendique en outre,pour lui-même et pour tout un chacun,des expériences suprasensibles qui précèdent encore leur élaboration par la pensée. Voici comment,on peut caractériser celles-ci :

  • Une expérience suprasensible est toujours différente de ce à quoi l'on pouvait s'attendre.
  • De nature non verbale,elle doit être mise après coup, avec difficulté,dans des mots qui restent des métaphores,pour pouvoir être communiquée.
  • On peut s'y préparer au moyen d'exercices,mais il n'existe aucun procédé pour forcer sa venue. Elle détermine elle-même le moment où elle se présente.
  • En tant que telle,elle n'est pas mémorisable à volonté,et l'on peut seulement tendre à la renouveler en parcourant de nouveau le chemin jusqu'à elle. C'est pourquoi beaucoup de gens,s'ils ont eu des connaissances suprasensibles ,n'en savent ensuite plus rien.

Ces quatre critères sont bien connus aussi,par exemple,de tout scientifique et mathématicien spirituellement créatif. Les bons mathématiciens n'apprennent pas les formules par coeur mais les retrouvent chaque fois qu'ils en ont besoin. Toute "intuition", au sens philosophique de "perception d'un concept", qui s'avère applicable et féconde dans la pratique est en soi une expérience spirituelle,et c'est aussi le cas lorsqu'elle ne se présente pas aussitôt dans les images ou des mots.
Peut-on déjà qualifier tout cela de "scientifique"? Oui, si la science repose sur l'expérience ; non,si aucune élaboration conceptuelle et idéelle n'entre en jeu. Seules ces deux conditions font de l'anthroposophie une "science de l'esprit" au sens littéral.(...)

Il sera plus clair à la pensée de chacun de suivre le fil dialectique proposé dans Dialogues sur la liberté de Lucio Russo (physicien italien,mathématicien et historien des sciences) qui a consacré une bonne partie de sa vie à l'ouvrage Philosophie de la liberté:

https://www.fichier-pdf.fr/2019/01/14/lucio-russo--dialogues-sur-la-liberte/lucio-russo--dialogues-sur-la-liberte.pdf 


Liens complémentaires :

https://www.editions-triades.com/livres/nature-et-sciences/
https://www.editions-triades.com/livres/philosophie/ 
http://www.eurythmiste.com/index.php/homepage-2/sciences-divers/methodologie-scientifique




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