Est-il possible de dresser un bilan du mouvement instauré par Steiner sans se faire frapper des foudres des pro ou des anti ? Une oeuvre immense en est restée, féconde pour les uns , insipide pour d'autres. Des zones d'ombre subsistent, et qui soulèvent à présent beaucoup d'interrogations et de l'incompréhension. Ce qui jette le trouble est effectivement la porosité et la perméabilité mise en évidence entre tous les courants occultistes en Allemagne et dans toute l'Europe à cette époque charnière et les fréquentations pour le moins sulfureuses de Steiner lui-même. Prenons le cas de Karl Heise (théosophe, essayiste et membre de la communauté mazdaznan Aryana à Herrliberg) que les auteurs ont omis de signaler dans ce droit de réponse. Membre de la Société Guido Von List (occultiste, théoricien de l'armanisme intégral (forme d'aryanisme,et dont la pensée racialiste constitua l'un des socles de la pensée raciale nazie).
Ce même Karl Heise,dont Steiner n'hésitera pourtant pas à financer et signer la préface en 1918 de son ouvrage : Entente-Freimaurerei und Weltkrieg.(1919,) ce dont regrettera Steiner quelques temps plus tard lorsqu'il aura eu vent de ses accointances ! Dans une lettre datée de 1937,adressée à une anthroposophe Elizabeth Klein, Heise lui confia qu'il avait envoyé son ouvrage à Hitler dénonçant le rôle que jouait une certaine élite maçonnique sur les évènements mondiaux. Comme 45% des allemands qui votèrent les pleins pouvoirs au NSDAP d'Hitler, Heise placera des espoirs déchus dans le national-socialisme trop aveuglés et soucieux de voir se redresser la nation allemande après la catastrophe économique de l'entre-deux-guerres. Le temps des faux-prophètes étaient venus....
https://de.wikipedia.org/wiki/Datei:Steiner_Vorwort_zu_Heise_1918.JPG
Beaucoup de connaisseurs de l'anthroposophie se verront choqués par les allégations portées par les auteurs de l'article en question,et les raccourcis spécieux sans que l'accusé puisse y porter un semblant de justifications. Même si la réalité des faits semble indéniable. Sans doute ces écrits seraient-ils à contextualiser par d'autres écrits et déclarations de Steiner (jusqu'à la fin de sa vie) pour atténuer en partie les accusations en question. Sujette à caution fût aussi sa proximité avec le Général en Chef des armées du Kaiser: Helmut Von Moltke. Puis les correspondances de type médiumnique qu'il entretiendra avec le défunt par l'intermédiaire de sa femme. Nombreux y verront là au final,toutes sortes de contradictions.... Pourra-t-on se réjouir qu'un jour, Peter Staudenmaier fasse la même enquête sourcée sur le rôle ambigu des officines vaticanes ou anglo-américaines via l'OPERATION PAPERCLIP qui consista à recycler et sauver de la justice, des hauts dignitaires nazis et l'ingérence de nos "démocraties- va-t-en-guerre" au nom des "Droits de l'Homme" !
https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/csi-studies/studies/vol-58-no-3/operation-paperclip-the-secret-intelligence-program-to-bring-nazi-scientists-to-america.html
Les placer notamment à la tête de la Commission européenne tels Walter Hallstein (ancien juriste nazi) ou Halmar Schacht (Ministre de l'économie du IIIème reich)(1) instigateur avec l'appui des anglo-saxons de la BRI ( Banque des règlements internationaux ) à Bâle. Ou bien encore, le soutien à Mussolini lors de la 1ère Guerre Mondiale par les services secrets anglais du MI-5 pour soutenir le combat italien contre les féroces allemands ! Au contraire des écofascistes qui exigent une dépopulation malthusienne dont les régimes politiques (oligarchie,synarchie) ou financiers (néo-libéralisme) se sont toujours accommodés, Rudolf Steiner et son mouvement n'ont ni de près ni de loin, émis la moindre volonté qui irait dans ce sens absolument anti-chrétien.
(1) http://www.solidariteetprogres.org/bri-banque-des-reglements-internationaux.html
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/10/14/une-nouvelle-competence-sur-le-cv-de-benito-mussolini-agent-du-mi5_1253682_3214.html
https://www.theguardian.com/world/2009/oct/13/benito-mussolini-recruited-mi5-italy
Les travaux des universitaires Annie Lacroiz-Riz en France,ainsi que ceux d'Anthony Sutton aux USA sur la condescendance des industriels et financiers internationaux mais aussi la Curie romaine avec les régimes totalitaires devraient inciter les auteurs à défricher de nouvelles pistes délaissées par les livres scolaires et les médias dominants... Assurément qu'en 2018, Steiner passerait selon les critères communément admis pour un réactionnaire,opportuniste, complotiste, racialiste, sectaire, ce dont le rapport parlementaire contre les sectes en 1995 n'avait pas manqué de stipuler avant d'être rectifié, estimant que les critères coercitifs requis n'étaient pas rassemblés pour une telle qualification.
Le constat majeur que dressent au final,les auteurs , est donc qu'il y a eu perméabilité entre les idées populistes de la fin du XIXème siècle dernier en Allemagne, avec des sociétés secrètes mêlant occultisme matérialiste,néo-paganisme et magie noire. La société théosophique fût très tôt déviée par les occultistes anglo-saxons d'une part,et l'occultisme indo-tibétain d'autre part toujours selon Rudolf Steiner. Le tout devant aboutir à des tentatives de contrôle de la population et vers des systèmes autoritaires et liberticides d'organisation de la société profitable à une oligarchie telle que le dénonçait en sont temps George Orwell.
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2008-3-page-11.htm
Des collusions entre anthroposophes et nationaux-socialistes donnent à penser que des passerelles idéologiques communes trouveraient leurs fondements en partie dans les déclarations de Steiner lui-même. Dénonçant l'influence du jésuitisme, de la finance internationale rapace, de loges occultes dans la sphère politique,enfin, du Bolchévisme et le danger spirituel réel qu'il représentait. Je renvoie au lien vers l'ouvrage complet en anglais de Peter Staudenmaier pour se forger une opinion à la fin de la réponse de Staudenmaier à P.N Waage. Par expérience et une étude approfondie de l'anthroposophie depuis plus de 20 ans, ce qui met à mal la conclusion logique de ce qu'il veulent caractériser chez Steiner, ressort du fait que toute l'oeuvre anthroposophique a comme point central une christologie qui touche l'âme et le coeur comme aucune autre connaissance ésotérique chrétienne n'a pu le faire jusqu'à présent. Que des anthroposophes aient collaboré pour des raisons opportunistes ou par conviction ne doit pas illusionner le commun des mortels sur l'incompatibilité totale entre les régimes fascistes et nazis d'avec la christologie ésotérique anthroposophique-rosicrucienne que Steiner nous a légué à la postérité et notamment l'immense Mystère du Golgotha. C'est bien avant tout sur la divergence sur ce point essentiel, que Steiner se désolidarisera de la société théosophique présidée par Annie Besant à tout jamais, et je me répète d'une impossibilité idéologique totale avec le néo-paganisme des ariosophes allemands et celui d'un Julius Evola italien, faut-il le préciser !
nota bene : En France, l'amalgame étant de mise, on crût très vite déceler chez Pierre Rabhi et son mouvement Colibri , l'archétype de l'écofasciste. Je laisse aux gens de raison le soin d'examiner les ouvrages de ce courageux éveilleur de conscience pour s'apercevoir que de la critique à la calomnie il n'y a qu'un pas que des gens stupides et d'une ignorance crasse franchissent allègrement.
https://fabrice-nicolino.com/?p=4615
https://www.colibris-lemouvement.org/mouvement/pierre-rabhi/biographie
Réponse points par points au travail de Staudenmaier :
https://www.defendingsteiner.com/refutations/ps01/Anthroposophy%20and%20Ecofascism.pdf
Ce même Karl Heise,dont Steiner n'hésitera pourtant pas à financer et signer la préface en 1918 de son ouvrage : Entente-Freimaurerei und Weltkrieg.(1919,) ce dont regrettera Steiner quelques temps plus tard lorsqu'il aura eu vent de ses accointances ! Dans une lettre datée de 1937,adressée à une anthroposophe Elizabeth Klein, Heise lui confia qu'il avait envoyé son ouvrage à Hitler dénonçant le rôle que jouait une certaine élite maçonnique sur les évènements mondiaux. Comme 45% des allemands qui votèrent les pleins pouvoirs au NSDAP d'Hitler, Heise placera des espoirs déchus dans le national-socialisme trop aveuglés et soucieux de voir se redresser la nation allemande après la catastrophe économique de l'entre-deux-guerres. Le temps des faux-prophètes étaient venus....
https://de.wikipedia.org/wiki/Datei:Steiner_Vorwort_zu_Heise_1918.JPG
Beaucoup de connaisseurs de l'anthroposophie se verront choqués par les allégations portées par les auteurs de l'article en question,et les raccourcis spécieux sans que l'accusé puisse y porter un semblant de justifications. Même si la réalité des faits semble indéniable. Sans doute ces écrits seraient-ils à contextualiser par d'autres écrits et déclarations de Steiner (jusqu'à la fin de sa vie) pour atténuer en partie les accusations en question. Sujette à caution fût aussi sa proximité avec le Général en Chef des armées du Kaiser: Helmut Von Moltke. Puis les correspondances de type médiumnique qu'il entretiendra avec le défunt par l'intermédiaire de sa femme. Nombreux y verront là au final,toutes sortes de contradictions.... Pourra-t-on se réjouir qu'un jour, Peter Staudenmaier fasse la même enquête sourcée sur le rôle ambigu des officines vaticanes ou anglo-américaines via l'OPERATION PAPERCLIP qui consista à recycler et sauver de la justice, des hauts dignitaires nazis et l'ingérence de nos "démocraties- va-t-en-guerre" au nom des "Droits de l'Homme" !
https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/csi-studies/studies/vol-58-no-3/operation-paperclip-the-secret-intelligence-program-to-bring-nazi-scientists-to-america.html
Les placer notamment à la tête de la Commission européenne tels Walter Hallstein (ancien juriste nazi) ou Halmar Schacht (Ministre de l'économie du IIIème reich)(1) instigateur avec l'appui des anglo-saxons de la BRI ( Banque des règlements internationaux ) à Bâle. Ou bien encore, le soutien à Mussolini lors de la 1ère Guerre Mondiale par les services secrets anglais du MI-5 pour soutenir le combat italien contre les féroces allemands ! Au contraire des écofascistes qui exigent une dépopulation malthusienne dont les régimes politiques (oligarchie,synarchie) ou financiers (néo-libéralisme) se sont toujours accommodés, Rudolf Steiner et son mouvement n'ont ni de près ni de loin, émis la moindre volonté qui irait dans ce sens absolument anti-chrétien.
(1) http://www.solidariteetprogres.org/bri-banque-des-reglements-internationaux.html
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/10/14/une-nouvelle-competence-sur-le-cv-de-benito-mussolini-agent-du-mi5_1253682_3214.html
https://www.theguardian.com/world/2009/oct/13/benito-mussolini-recruited-mi5-italy
Les travaux des universitaires Annie Lacroiz-Riz en France,ainsi que ceux d'Anthony Sutton aux USA sur la condescendance des industriels et financiers internationaux mais aussi la Curie romaine avec les régimes totalitaires devraient inciter les auteurs à défricher de nouvelles pistes délaissées par les livres scolaires et les médias dominants... Assurément qu'en 2018, Steiner passerait selon les critères communément admis pour un réactionnaire,opportuniste, complotiste, racialiste, sectaire, ce dont le rapport parlementaire contre les sectes en 1995 n'avait pas manqué de stipuler avant d'être rectifié, estimant que les critères coercitifs requis n'étaient pas rassemblés pour une telle qualification.
Le constat majeur que dressent au final,les auteurs , est donc qu'il y a eu perméabilité entre les idées populistes de la fin du XIXème siècle dernier en Allemagne, avec des sociétés secrètes mêlant occultisme matérialiste,néo-paganisme et magie noire. La société théosophique fût très tôt déviée par les occultistes anglo-saxons d'une part,et l'occultisme indo-tibétain d'autre part toujours selon Rudolf Steiner. Le tout devant aboutir à des tentatives de contrôle de la population et vers des systèmes autoritaires et liberticides d'organisation de la société profitable à une oligarchie telle que le dénonçait en sont temps George Orwell.
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2008-3-page-11.htm
Des collusions entre anthroposophes et nationaux-socialistes donnent à penser que des passerelles idéologiques communes trouveraient leurs fondements en partie dans les déclarations de Steiner lui-même. Dénonçant l'influence du jésuitisme, de la finance internationale rapace, de loges occultes dans la sphère politique,enfin, du Bolchévisme et le danger spirituel réel qu'il représentait. Je renvoie au lien vers l'ouvrage complet en anglais de Peter Staudenmaier pour se forger une opinion à la fin de la réponse de Staudenmaier à P.N Waage. Par expérience et une étude approfondie de l'anthroposophie depuis plus de 20 ans, ce qui met à mal la conclusion logique de ce qu'il veulent caractériser chez Steiner, ressort du fait que toute l'oeuvre anthroposophique a comme point central une christologie qui touche l'âme et le coeur comme aucune autre connaissance ésotérique chrétienne n'a pu le faire jusqu'à présent. Que des anthroposophes aient collaboré pour des raisons opportunistes ou par conviction ne doit pas illusionner le commun des mortels sur l'incompatibilité totale entre les régimes fascistes et nazis d'avec la christologie ésotérique anthroposophique-rosicrucienne que Steiner nous a légué à la postérité et notamment l'immense Mystère du Golgotha. C'est bien avant tout sur la divergence sur ce point essentiel, que Steiner se désolidarisera de la société théosophique présidée par Annie Besant à tout jamais, et je me répète d'une impossibilité idéologique totale avec le néo-paganisme des ariosophes allemands et celui d'un Julius Evola italien, faut-il le préciser !
nota bene : En France, l'amalgame étant de mise, on crût très vite déceler chez Pierre Rabhi et son mouvement Colibri , l'archétype de l'écofasciste. Je laisse aux gens de raison le soin d'examiner les ouvrages de ce courageux éveilleur de conscience pour s'apercevoir que de la critique à la calomnie il n'y a qu'un pas que des gens stupides et d'une ignorance crasse franchissent allègrement.
https://fabrice-nicolino.com/?p=4615
https://www.colibris-lemouvement.org/mouvement/pierre-rabhi/biographie
Réponse points par points au travail de Staudenmaier :
https://www.defendingsteiner.com/refutations/ps01/Anthroposophy%20and%20Ecofascism.pdf
Claude Philalethes.
Peter Staudenmaier, coécrit avec Peter Zegers-Le 9 janvier 2009
(traduction
par Jean-François Theys; sous-titres modifiés par mes soins et qui
s'approchent au plus près m'apparait-il de la pensée de Steiner )
Réponse à Peter Normann Waage « Humanisme et populisme polémique »
Notre article intitulé “Anthroposophie et Ecofascisme”
a suscité un débat au sein des cercles humanistes scandinaves. Des
auteurs comme Peter Normann Waage sont montés au créneau pour défendre
l’Anthroposophie, la présentant comme une variante inoffensive de
l’Humanisme. Bien que nous soyons stimulés par ce débat, nous sommes
également atterrés par le niveau de naïveté historique qu’il a mis en
évidence. Car le point de vue de Waage semble révéler une façon de voir
les choses qui est assez répandue parmi les gens instruits et bien
intentionnés. Nous espérons que nous pourrons contribuer à donner une
vision plus précise des implications politiques de l’Anthroposophie en
corrigeant plusieurs idées fausses, illustrées par la réponse de ce
dernier. Bien que Waage n’ait rien à dire sur le sujet principal de
l’article, à savoir la collusion systématique entre le mouvement
anthroposophique et l’aile “verte” du fascisme allemand, il soulève
plusieurs questions qui sont au cœur de cette collusion. En effet, Waage voudrait nous faire
croire que Rudolf Steiner était un anti-raciste intransigeant, qu’il
était opposé à la propriété privée, qu’il rejetait le militarisme et le
nationalisme, et qu’il était un farouche adversaire du nazisme. Non
seulement ces affirmations sont fausses, mais elles trahissent un manque
étonnant de connaissance élémentaire des œuvres de Steiner, ainsi
qu’une profonde méconnaissance de l’histoire politique de
l’Anthroposophie.
Germanocentrisme et peuplades européennes
Nous commencerons, tout comme Waage, par
la question du nationalisme. À la fin de sa vie, Steiner a fait preuve
de franchise en reconnaissant sa participation enthousiaste au mouvement
pangermaniste durant sa jeunesse. Dans son Autobiographie, publiée peu de temps avant sa mort, il s’exprime au sujet de ses années viennoises, avant le tournant du siècle :
“J’ai pris alors une part active à la lutte que les Allemands ont exercée par la suite au nom de leur existence nationale. »
L’Autobiographie de Steiner
fournit ainsi un exemple significatif de ses convictions nationalistes
allemandes. Le paragraphe suivant évoque ses “amis de la lutte
nationale”. Deux pages plus loin, il évoque l’impact qu’à eu sur lui le
livre infâme de Julius Langbehn, Rembrandt. Steiner mentionne également qu’il a brièvement collaboré, comme rédacteur en chef, au Deutsche Wochenschrift, l’une des principales publications nationalistes allemandes de l’époque.
Mais il n’y a pas que l’Autobiographie
de Steiner qui permette de découvrir son engagement pangermanique, car
la collection de ses œuvres complètes contient plusieurs dizaines
d’articles publiés dans la presse allemande nationaliste entre 1884 et
1890, avec des titres révélateurs comme “Die deutschnationale Sache in
Österreich” (La cause pangermanique en Autriche). On peut y découvrir
que la ligne nationaliste pure et dure que Steiner adoptait alors dans
ses articles était extrémiste, même selon les normes des années 1880. Il
reprochait ainsi aux partis nationalistes traditionnels d’être
“non-allemands” et rejettait tout compromis avec eux. Même s’il ne
s’était agit que d’une simple erreur de jeunesse, Steiner n’a jamais
renié ni regretté ces écrits. Au contraire, il a réaffirmé avec force son
point de vue pangermanique dans une série d’articles publiés
ultérieurement, au tournant du siècle.
Ce qui est frappant dans cet aveu de
Steiner concernant son engagement nationaliste, c’est que ce dernier
était complètement déconnecté de la réalité. Dans l’Empire des
Habsbourg, il n’y avait en effet aucune “lutte réelle pour l’existence
nationale” qui aurait concernée les Allemands . Et encore moins à Vienne
! Car sous la monarchie, il n’y avait jamais eu la moindre menace
sérieuse dirigée contre la domination allemande. Et certainement pas en
ce qui concernait son existence nationale ! Au contraire, les Allemands
de souche étaient l’élite administrative, économique et culturelle
incontestée d’une grande moitié de ce vaste empire multinational. La
participation de Steiner au mouvement pangermaniste reposait donc sur du
chauvinisme et des préjugés ethniques.
À la lumière de l’attachement de longue
date de Steiner à une forme particulièrement virulente de nationalisme,
dont le but était de donner naissance à une grande Allemagne, il est peu
surprenant de constater l’attitude nationaliste fanatique et méprisable
qu’il adopta lors du déclenchement de la Première Guerre Mondiale.
Steiner a en effet donné des dizaines de conférences durant la guerre
(rassemblées dans les deux volumes Zeitgeschichtliche Betrachtungen — Considérations sur le temps de guerre,
GA 173 à 174), condamnant ce qu’il appellait “l’impérialisme
britannique, français, et russe”, mais ne mentionnant à aucun moment
l’impérialisme allemand. Ces conférences présentaient l’Allemagne et
l’Autriche comme des victimes innocentes de l’Occident et de l’Est,
rejetant avec indignation toute critique du nationalisme et du
militarisme allemands. Elles recyclaient en outre le vieux mythe de la
Mitteleuropa, familier aux étudiants en droit allemand. Steiner a
développé ce mythe en détails dans ses écrits d’après-guerre. On peut
par exemple se référer au cycle de conférences intitulé “Notwendigkeiten für Gegenwart und Zukunft”
(GA 181 non traduit en français, ndt.), où Steiner reprend à son compte
la vieille conception nationaliste traditionnelle de « la mission
spirituelle du peuple allemand ». Il avertissait que cette essence
“allemande” unique était “aliénée” par l’américanisme d’une part et le
russianisme d’autre part. Steiner ajoutait que “la crainte de
l’existence du spirituel est l’élément caractéristique de
l’américanisme”, tout en décrivant la menace de “l’Est” comme étant le
“socialisme” et le “bolchevisme”. Fardée de considérations
spiritualistes, le propos de Steiner ne faisait ainsi que reprendre les
thèses nationalistes réactionnaires allemandes de l’époque et leur peur
paranoïaque que l’Allemagne ne se retrouve coincée entre un Occident
sans âme et un Orient collectiviste. Cette paranoïa constituait un
élément fondamental du fascisme allemand.
Waage fait remarquer que Steiner était un
fervent opposant à l’autodétermination wilsonienne. Mais cette position
n’indique en aucune façon une hostilité fondamentale au nationalisme.
En effet, plusieurs hauts dirigeants du mouvement nationaliste allemand
d’extrême droite, comme le Comte Reventlow et Adolf Bartels,
partageaient l’avis négatif de Steiner au sujet des propositions de
Wilson. Waage ne parvient d’ailleurs pas à comprendre pourquoi Steiner a
adopté cette position puisque, selon l’Anthroposophie, la doctrine de
l’autodétermination nationale est en effet censée être « opposée au plan
divin de l’évolution” (Steiner, From Symptom to Reality in Modern History, London 1976, p. 12 —Steiner, Symptômes dans l’histoire,
GA 185). Steiner reprochait pourtant à la doctrine de Wilson d’être
corresponsable, avec le triomphe de “l’impérialisme britannique,
français et russe” lors de la Première Guerre mondiale, du démantèlement
de l’Empire des Habsbourg, lequel représentait manifestement pour lui
une grande perte pour la civilisation européenne. Steiner faisait valoir
que, contrairement à d’autres caractères nationaux, coincés dans leurs
particularismes, le caractère national allemand tendait vers
l’universalisme. A ses yeux, cela légitimait la prétention allemande à
dominer l’Europe centrale. Pour lui, le degré d’avancement spirituel de
l’Allemagne était l’excuse parfaite pour justifier l’expansion
impérialiste :
“Si une civilisation nationale se
répand plus facilement et a une plus grande fécondité spirituelle qu’une
autre, alors il est tout à fait juste qu’elle se répande”.
Judéocriticisme et assimilationnisme
Waage rappelle aux lecteurs du journal
l’Humaniste que Steiner “a participé à l’Association contre
l’antisémitisme à la fin du siècle”. En effet, Steiner était un ami de
Ludwig Jacobowski, un employé de la “Verein zur Abwehr des
Antisemitismus” (Société pour la protection contre l’antisémitisme).
Toutefois, sa relation personnelle avec Jacobowski ne change rien à ce
que fût son attitude ambiguë envers l’antisémitisme. En réalité, on
s’aperçoit en lisant les écrits de Jacobowski concernant la question
juive que sa position etait celle d’un appel classique au nationalisme
allemand. Et c’est précisément ce qui avait séduit Steiner. Jacobowski
préconisait “l’assimilation totale” des Juifs dans ce qu’il appelait
“l’esprit allemand”. Son œuvre la plus connue, Werther der Jude, peut être qualifiée comme “un texte antisémite”. (Ritchie Robertson, The Jewish Question in German Literature
1749-1939, Oxford 1999, p. 279). Dans un pamphlet très controversé,
attaquant un agitateur antisémite connu, Hermann Ahlwardt, Jacobowski
accusait en effet ce dernier d’être « anti-allemand” (et aussi d’être un
social démocrate). Le même pamphlet parlait d’un “antisémitisme
honorable”, en opposition à celui d’Ahlwardt. Dans un style
assimilationniste-patriotique, il déclarait :
“Une jeune génération juive se prépare. Elle est allemande et se sent allemande.” (Toutes les citations sont issue du livre de Sanford Ragins, Jewish Responses to Anti-Semitism in Germany, 1870-1914, Cincinnati 1980, pp. 43-44)
Jacobowski reprends également à son
compte certains arguments antisémites, considérés par les antisémites
pangermanistes comme « importants et corrects » (Jacobowski cité dans
Fred Stern, Ludwig Jacobowski, Darmstadt 1966, p. 159). Un des plus
grands spécialistes du sujet, Ismar Schorsch, décrit la position de
Jacobowski ainsi :
“L’antisémitisme est en effet basé
sur des faits et ne peut être surmonté que par une reforme éthique
drastique de l’ensemble de la communauté juive.”
Commentaire de Schorsch : “La réponse à
l’antisémitisme de ce Juif aliéné [Jacobowski] se caractérise par une
extrême hésitation entre la critique de ses coreligionnaires et une
réaffirmation provocante du judaïsme.” (Schorsch, Jewish Reactions to German Anti-Semitism, 1870-1914, New York 1972, pp. 47 et 95).
Steiner lui-même a souligné l’engagement
exclusif de Jacobowski envers la culture allemande et le fait qu’il
pensait que son ami avait dépassé depuis longtemps sa propre judéité.
Cela ne témoigne guère en faveur de sympathies pro-juives qu’aurait eu
Steiner.
Waage ne mentionne pas non plus que, tout
au long de sa vie, Steiner a fréquenté des antisémites notoires et
endurcis, ni qu’il entretenait, de son propre aveu, des liens amicaux
avec eux. Les passages de Mein Lebensgang (Autobiographie,
GA 28) évoquant sa relation avec Heinrich von Treitschke, par exemple,
sont sans conteste admiratifs de cette figure de proue de la droite
allemande, qui était avant tout l’allié intellectuel de l’antisémitisme
militant. (Treitschke a inventé le slogan nazi : “Les Juifs sont notre
malheur”). Steiner ne condamne d’ailleurs pas les positions infâmes de
Treitsschke sur la question juive. Il en va de même des appréciations de
Steiner concernant d’autres personages controversés, comme Haeckel et
Karl Lueger. Il ressort clairement des écrits de Steiner que ce dernier
adhérait à une conception extrêmement primaire de l’antisémitisme et
qu’il a été lui-même responsable de la diffusion parmi ses disciples
d’une grande variété de stéréotypes antisémites. À plus d’une occasion,
il a exprimé le souhait “que les Juifs en tant que peuple devrait
simplement cesser d’exister” (Steiner, Geschichte der Menschheit, Dornach 1968, p. 189 et ailleurs — Steiner, Histoire de l’Humanité, GA 353). Ce souhait coïncidait avec son refus catégorique du droit à l’existence du peuple juif :
“La communauté juive en tant que
telle a depuis longtemps dépassé son temps. Elle n’a plus aucune
justification dans la vie moderne des peuples. Le fait qu’elle continue
d’exister est une erreur de l’histoire mondiale, dont les conséquences
sont inévitables. Nous ne parlons pas seulement des formes de la
religion juive, mais avant tout de l’esprit de la communauté juive, de
la manière juive de penser.» (Gesammelte Aufsätze zur Literatur, GA 32, p. 152, Recueil de textes sur la littérature, 1884-1902, non traduit).
Il semble donc que Waage dresse le
portrait d’un Steiner adversaire du nationalisme et de l’antisémitisme
qui est en contradiction avec les faits.
Conceptions des races-racines et ethnicisme
Waage croit que Steiner « ne peut pas
être désigné comme raciste » et que la doctrine de l’anthroposophie
concernant les races-racines constitue “une saine conception
antiraciste.” Pour appuyer ses dires, Waage indique que “déjà en 1909”
Steiner avait “cessé d’utiliser” les termes de “race-racine” et
d’“aryen”. La chronologie de Waage est complètement erronée : 1909 est
l’année où Steiner a publié le recueil Aus der Akasha-Chronik (Chronique de l’Akasha,
GA 11), où l’on trouve sa présentation la plus complète de la doctrine
des races-racines, avec tous ses détails fantastiques. Cet ouvrage,
publié en anglais sous le titre Cosmic Memory (Mémoire
cosmique), reste aujourd’hui encore la principale référence de la
conception du monde selon l’anthroposophie, sans que ne soit intervenue
la moindre distanciation envers ses contenus racistes. La préface de
l’édition actuelle du livre, publiée à Dornach, n’évoque pas davantage
le contenu raciste du livre, et tente encore moins de l’expliquer, ni de
le contextualiser ou de le minimiser. La Société Anthroposophique
Universelle continue de considérer officiellement ce livre comme l’un
des “textes anthroposophiques fondamentaux”. Steiner lui-même n’y a
jamais renoncé. Au contraire, en 1925, il qualifia Aus der Akasha-Cronik de “base de la cosmologie anthroposophique” (Autobiographie). Aujourd’hui, le livre est encore officiellement recommandé par les enseignants Waldorf.
En 1910 – c’est-à-dire, après la date à
laquelle Waage prétend que Steiner aurait “cessé d’utiliser” la
terminologie des races-racines et des Aryens — Steiner a donné à Oslo
des conférences qui ont se constituent une introduction à
l’anthroposophie et à l’écofascisme. En effet, le cycle de conférences
donné en Norvège sur les “Âmes des Peuples” a été revu et édité
par Steiner en 1918 sous forme de livre. Le terme race-racine est
utilisé tout du long de l’ouvrage en question. Le cinquième chapitre,
c’est-a-dire la conférence donnée par Steiner à Oslo le 12 juin 1910,
s’intitule “Les cinq races racines de l’humanité” et fait référence à la
supériorité raciale des “Aryens”. (Steiner, The Mission of the Individual Folk Souls in Relation to Teutonic Mythology, London 1970, p. 106 — Steiner, la mission des âmes de quelques peuples en rapport avec la mythologie germano-nordique, GA 121).
Mais Waage se plaindrait sans doute que
nous ayons sortis les propos de Steiner de leur contexte. Pourtant, le
livre contient des phrases très explicites :
“Etant donné que tous les hommes dans
leurs différentes incarnations passent au travers des différentes
races, l’affirmation que la race européenne est supérieure aux races
noire et jaune n’a aucune valeur réelle. Dans de tels cas, la vérité est
parfois voilée, mais vous voyez qu’avec l’aide de la science
spirituelle nous pouvons faire toute la lumière sur des vérités
remarquables.” (ibid. p. 76).
Même en laissant de côté tout ce que la
référence inquiétante à une “vérité voilée” est censée signifier – jaune
et noir de peau voileraient une vérité intérieure ? – ce passage ne
peut-être interprété comme antiraciste que si l’on accepte la conception
anthroposophique de la réincarnation. En outre, l’interprétation
antiraciste de ce passage est immédiatement contredite par le contexte.
En effet, sur la page qui précède immédiatement la citation, Steiner a
dessiné un schéma montrant l’Afrique en bas, l’Asie au centre, et
l’Europe au dessus, expliquant que la “race nègre” serait liée à
l’enfance de l’humanité. Steiner, insiste ensuite sur le fait que cette
hiérarchie des races “est simplement une loi universelle” et serait en
réalité le résultat d’un destin inéluctable :
“Les forces qui déterminent le
caractère racial de l’homme obéissent à ce modèle cosmique. Les
Amérindiens s’éteignirent, non pas à cause des persécutions européennes,
mais parce qu’ils étaient destinés à succomber à ces forces qui
hâtaient leur extinction.” – ( ibid. p.76 — la même page que celle de la citation qui pour Waage représente “une vue anti-raciste saine”)
Même en passant outre la méconnaissance
par Waage de ce texte précis, c’est dans son ensemble qu’il semble avoir
mal compris la doctrine raciale de Steiner. Pour des raisons qu’il
n’explique jamais, Waage est d’avis que dans la doctrine de la
réincarnation de Steiner les races joueraient un rôle secondaire. C’est
tout à fait faux. En réalité, Steiner a enseigné que chaque âme
individuelle doit, au cours de son évolution spirituelle, gravir
l’échelle des races, allant des “races inférieures” aux “races
supérieures”. Cette conception raciste est déjà en soi assez malsaine,
pourtant Steiner l’a encore accentué en soulignant très explicitement
quels groupes feraient partie des “formes raciales inférieures” et des
“races restées en arrière” (les Juifs, les Chinois et les Noirs, par
exemple), et à quels groupes appartiendraient les “formes raciales
supérieures” et “en avance” (au-dessus de tous, les Allemands, puis les
peuples nordiques et “la grande race-racine aryenne”. Steiner répète ces
notions répugnantes tout au long de son œuvre.
Selon l’Anthroposophie, une âme qui a le
malheur de s’incarner dans une race retardataire ne doit s’en prendre
qu’à elle-même. Il est facile de trouver des dizaines de passages
semblables dans ses écrits.
Waage a donc tort d’affirmer que Steiner
avait définitivement rejeté l’idéologie des races-racines et de la
suprématie de la race aryenne. Ses propos occasionnels minimisant
l’importance spirituelle des races sont soit naïfs, soit hypocrites.
Mais les disciples ont-ils réussi à se
libérer des préjugés xénophobes de leur maître ? Notre précèdent article
a déjà offert de nombreux exemples de persistance de la pensée raciste
au sein de l’anthroposophie contemporaine. Examinons un cas
supplémentaire, qui démontre definitivement le caractere indéfendable
des positions de Waage. Ernst Uehli fut l’un des premiers et des plus
fervents disciples de Steiner. Il fut professeur dans la première école
Waldorf et l’un des dirigeants de la Société Anthroposophique
Universelle. Dans les milieux anthroposophiques, Uehli est considéré
comme un antifasciste éminent. Uwe Werner le désigne tout spécialement
comme ayant été “extrêmement critique” vis-à-vis du national-socialisme.
En réalité, Uehli a développé une version anthroposophique du racisme,
de la suprématie aryenne et de l’antisémitisme, en la teintant d’une
idéologie du sol et du sang. En 1926, il a publié un livre sur la
“mythologie germano-scandinave”, dédié à Steiner récemment décédé, qu’il
cite et auquel il se réferre tout au long de son ouvrage. Uehli y
utilise les termes de “races-racines” et de “race aryenne” à plusieurs
reprises. Pourquoi un proche disciple de Steiner aurait-il continué à
promouvoir les idées auxquels le maître aurait soi-disant renoncé ? Mais
Uehli ne se contente pas de répéter l’orthodoxie anthroposophique
concernant les races-racines et la supériorité aryenne. Il construit
également un grand récit historique de l’évolution des races au sein
duquel se confrontent deux forces rivales, séparées au cours des
millénaires par leurs constitutions raciales fondamentalement
différentes, à savoir “les Sémites et les Aryens”. Selon lui “les
premiers Allemands étaient un peuple de la nature”, donc pur et fort,
tandis que “les Juifs succombèrent à Ahriman” (“Ahriman” désigne pour
les anthroposophes les forces démoniaques qui favorisent le
matérialisme). Parallèlement à la lutte historique entre les Aryens,
amoureux de la nature, et les Juifs, matérialistes et diaboliques, Uehli
mentionne qu’il existe encore quelques “peuples primitifs qui sont en
voie de disparition” en raison de la nécessité cosmique, puisqu’ils ne
sont rien d’autre que les vestiges “décadents” d’une race-racine
antérieure (ibid. 135).
On pourrait croire que les anthroposophes
des temps modernes seraient assez avisés pour ignorer de telles
absurdités racistes répugnantes. Mais, en l’an 2000, les œuvres de Uehli
faisaient toujours partie du programme d’études officiellement
recommandé aux enseignants Waldorf en Allemagne et aux Etats-Unis. Au
printemps 2000, un scandale a d’ailleurs éclaté quand on s’est aperçu
qu’un livre de Uehli sur l’Atlantide, plus virulent encore que celui que
nous avons mentionné, figurait parmi ces recommandations. Le Ministère
allemand de la Jeunesse a réagit en ajoutant ce livre dans sa liste
d’ouvrages de littérature raciste interdits. Si les bureaucrates du
gouvernement allemand eux-mêmes n’ont eu aucune difficulté à reconnaître
le contenu raciste de l’anthroposophie, pourquoi Waage le nie-t-il
obstinément ?
L’héritage raciste de l’Anthroposophie a
conduit à des enquêtes publiques, aussi bien aux Pays-Bas qu’en Suisse,
en France et en Belgique. Compte tenu du cadre limité de cet article,
nous ne pouvons pas développer cet aspect crucial. Mais les lecteurs
intéressés peuvent se renseigner sur le cas allemand en consultant
l’ouvrage de Pieter Bierl intitulé Wurzelrassen, Erzengel und Volksgeister, Die Anthroposophie Rudolf Steiners und die Waldorfpädagogik (Konkret Literatur Verlag, Hamburg 1999 ; 2nd ed. 2005). Lire aussi l'article de W.H tiré de son blog en appendice(*)
Capital et propriété privée au sein de la Tripartition sociale
L’aspect le plus déroutant de la réponse
de Waage est sa thèse selon laquelle Steiner “était un adversaire du
droit à la propriété privée”. Waage est en effet catégorique sur ce
point, critiquant les passages de notre article à propos des conceptions
pro-capitalistes de Steiner en les qualifiant de “au mieux bâclés, au
pire mensongers”.
Curieusement, Waage ne propose aucune
citation de Steiner appuyant ses dires, ni ne cite aucun autre extrait
de la littérature anthroposohique pour appuyer son interprétation. De
plus, certaines de ses exégèses des écrits de Steiner contredisent sa
propre interprétation.
Les volumineux ouvrages de Steiner sur
les questions économiques sont souvent vagues et obscurs. En outre, sa
position varie plus d’une fois. Ici comme ailleurs, les contradictions
forment le seul élément consistant. Il est néanmoins possible de rendre
compte de son positionnement concernant la propriété privée. Ce à quoi
Steiner était opposé, c’était l’utilisation abusive de la propriété
privée, non l’institution de la propriété privée elle-même. Il prônait
un mélange particulier de propriété privée et de conscience sociale,
permettant aux capitalistes, en tant qu’individu, et à de petits groupes
de dirigeants dotés de talents particuliers, de générer des capitaux
privés, comme une sorte de trust oeuvrant soit-disant pour le bien de
l’ensemble de la communauté. Les lecteurs familiers avec les thèses
économiques décousues du fascisme traditionnel remarqueront le parallèle
avec l’idéologie de la Volksgemeinschaft, ou communauté du peuple.
Steiner a insisté sur le fait qu’abolir le capitalisme était tout
simplement impossible et signifierait l’abolition de la vie sociale
elle-même, “le capitalisme étant une composante essentielle de la vie
moderne ». L’anthroposophe Walter Kugler, qui travaille pour la
Nachlaßverwaltung Rudolf Steiner, à Dornach, (les administrateurs des
œuvres complètes de Steiner), décrit la position de Steiner ainsi :
“Chaque entrepreneur, c’est-a-dire
tout individu qui veut faire usage de ses talents pour satisfaire le
besoin des autres, obtiendra un capital dans la mesure où il est capable
d’employer productivement ses talents.” (Kugler, Rudolf Steiner und die Anthroposophie, Cologne 1978, p. 165).
Steiner lui-même écrit :
“La propriété entière du capital doit
être disposée de sorte qu’un individu ayant un talent particulier, ou
un groupe d’individus particulièrement aptes, puissent posséder le
capital d’une manière qui dépendra uniquement de leur propre initiative
personnelle.” (ibid.).
Un principe central de la doctrine de la
Dreigliederung, ou “triarticulation sociale”, sur lequel Steiner n’a
cessé d’insister, consiste dans le fait que la sphère économique ne
devrait jamais être organisée ou gérée démocratiquement. Conformément à
cela, Steiner critiquait le Socialisme (et pas uniquement ses variantes
marxistes) et a rejeté categoriquement la socialisation des biens (pas
seulement leur nationalisation). De même, il considérait les syndicats
comme inutiles. Selon “la triple organisation du corps social”, l’une
des trois parties autonomes de la société, la sphère économique, devait
être aux mains d’une méritocratie spirituelle dans laquelle on donnerait
aux individus les plus capables un contrôle effectif sur les ressources
économiques. Il a rejeté avec véhémence l’idée de tempérer cette
disposition par le biais d’une quelconque supervision communautaire. Il a
tourné en dérision l’idée de “transfert des moyens de production de la
propriété privée vers une propriété commune”. De même, concernant la
socialisation de “la gestion concentrée des flux du capital”, il a
insisté sur le fait que “la gestion des moyens de production doit être
laissée aux mains de l’individu » (Steiner in ibid. 199, 200). Steiner a
particulièrement insisté sur ce point :
« Nul ne peut être autorisé à revenir
à des formes économiques dans lequel l’individu serait lié ou limité
par la communauté. Nous devons bien plutôt nous efforcer à faire tout le
contraire.”(ibid. p. 201)
Dans un ouvrage de 1919, Kernpunkte der sozialen Frage, il a expressément rejeté l’idée de propriété commune et de propriétés mises en commun.
L’intérêt de Steiner concernant les
questions économiques est issue d’une réaction à la vague de révoltes
ouvrières qui ont balayé l’Europe au lendemain de la Première Guerre
Mondiale. Au cours de cette période, dans de nombreuses villes, les
masses poulaires exigeaient en effet la socialisation des usines.
Steiner se moquait ouvertement de ces revendications :
“Comme si l’on pouvait vraiment socialiser les usines !”. (ibid. p. 209)
Ses propositions visaient précisément à
contrecarrer cette démocratisation économique venant du bas. L’utopie
steinerienne pense que l’économie ne devrait pas être aux mains des
“travailleurs manuels”, mais plutôt dans celles des “travailleurs
spirituels qui dirigent la production” (Kernpunkte der sozialen Frage — Fondements de l’organisme social,
GA 23 ). Et comment au juste ces travailleurs spirituels privilégiés
devaient-ils être choisis ? Réponse de Steiner : l’organisation
spirituelle de la société reposera sur une base saine d’initiative
individuelle, s’exerçant par une libre concurrence des individus adaptés
au travail spirituel (ibid. p. 158). Dans ce cadre, “la vie spirituelle
doit être rendue libre, en lui donnant un contrôle de l’emploi du
capital” — en fait, “une utilisation absolument libre des capitaux”
(ibid. pp. 117, 126). Pour Steiner, “la propriété privée est le résultat
de la créativité sociale liée aux aptitudes humaines individuelles”
(ibid. p. 126). La propriété partagée, en revanche, est un obstacle à ce
déploiement créatif des talents individuels :
“L’individu ne peut pas mettre
efficacement ses capacités en œuvre dans les affaires, s’il est enchaîné
dans son travail et dans ses décisions à la volonté d’une communauté.” (Rudolf Steiner : Essential Readings, ed. Richard Seddon, Wellingborough 1988, p. 106)
Compte tenu de ces présupposés foncièrement capitalistes, la conclusion de Steiner n’est pas surprenante :
“En conséquence, une pensée pratique
véritable ne cherchera pas à trouver le remède aux maladies sociales
dans une refonte de la vie économique qui pourrait substituer le
communautarisme à la gestion privée des moyens de production. L’effort
devrait plutôt consister à prévenir les maux qui pourraient advenir par
le fait que le capital sera géré par des initiatives individuelles et
par la valeur personnelle des individus, sans porter atteinte à cette
gestion elle-même.”(ibid.)
Quand les idées économiques de Steiner
ont été mises en pratique dans les années 1920, à trois reprises dans le
sud-ouest de l’Allemagne, par l’Association pour la Triarticulation de
l’Organisme Social (Bund für Dreigliederung des Sozialen Organismus), il
fut très clair que Steiner était opposé à une organisation démocratique
des usines affiliées — la manufacture de tabac de Waldorf étant la plus
connue. L’anthroposophe Hans Kühn a écrit :
“La démocratisation des usines était
une chose à laquelle [Steiner] était opposé par principe. Le
gestionnaire devait être en mesure de prendre ses propres initiatives
sans interférence.” (Hans Kühn, Dreigliederungszeit. Rudolf Steiners Kampf für die Gesellschaftsordnung der Zukunft, Dornach, 1978 p. 52).
Puisque des anthroposophes de premier
plan n’ont aucune difficulté à admettre ce point, il est difficile de
comprendre comment Waage peut se tromper au point de voir en Steiner un
adversaire de la propriété privée et du capitalisme. Le système de
Steiner n’était qu’une version “éclairée” de la propriété privée sous le
contrôle bienveillant d’une aristocratie spirituelle. Comme telle, elle
constitue la contrepartie économique parfaite de sa philosophie, qui
est un mélange d’individualisme radical et d’élitisme. Il serait
difficile d’expliquer l’attrait des aristocrates et des industriels pour
la doctrine économique de Steiner — ce sont ceux qui ont répondu le
plus favorablement à ses propositions — si cette doctrine avait contenu
quelque chose de menaçant envers les bénéfices des puissants.
Les sympathisants théosophes et ariosophes au sein du NSDAP
Waage semble avoir compris, à tort, Anthroposophie et écofascisme
comme une tentative consistant à désigner des coupables par association
avec d’autres : si certains anthroposophes ont été des nazis et si
certains nazis ont été anthroposophes, alors les deux groupes doivent
être identiques. C’est à ce raisonnement simpliste que Waage tente de
réduire notre propos. Il était pourtant évident que l’article traitait
d’une frange spécifique du mouvement nazi, à savoir la tendance
écofasciste, un groupe qui ne faisait pas l’unanimité au sein du Parti
National-Socialiste. La fait que Waage n’ait pas été capable de
comprendre cette distinction cruciale détermine le début de sa réponse,
où il invente une “citation” qui n’a jamais existé dans l’article. Nulle
part dans l’article, il n’a en effet été dit que “Steiner était un
nazi”, et encore moins que “l’anthroposophie est une forme de nazisme”,
comme il le prétend.
Ensuite, Waage fait plusieurs
déclarations intenables au sujet de la relation entre l’Anthroposophie
et le National-Socialisme, affirmant qu’il n’y aurait aucun parallèle
idéologique important entre ces deux visions du monde, que les Nazis
auraient tenté d’assassiner Steiner en 1922 parce qu’il aurait été
opposé par principe à leurs projets politiques, et que les
collaborateurs anthroposophes du Troisième Reich ont été désavoués par
le Mouvement Anthroposophique après la Seconde Guerre Mondiale.
Examinons l’une après l’autre ces affirmations :
1. Idéologies parallèles.
Remarquons tout d’abord les similitudes entre les diatribes anti-françaises de Steiner et celles qu’on peut trouver dans Mein Kampf.
Nous encourageons les lecteurs qui partagent le scepticisme de Waage
sur ce point à lire les passages de Hitler sur la France en tant
qu’ennemie mortelle de l’Allemagne, puis de les comparer avec les
passages de Steiner sur ce même thème.
Waage ajoute que notre description des
similitudes entre l’Anthroposophie et les mythologies raciales nazies
est “manifestement déraisonnable”. Ce point de vue n’est pas partagé par
les spécialistes du sujet. Le chercheur antifasciste Volkmar Wölk écrit
a ce sujet :
“Le fossé conceptuel est mince entre cette position [la théorie des races-racines de Steiner] et la doctrine raciale des nazis”
Si Waage trouve une telle appréciation
trop critique, il peut consulter également le travail de l’historien
Nicholas Goodrick-Clarke, qui a pourtant écrit une préface entièrement
favorable à Rudolf Steiner, et peut donc difficilement être soupçonné
d’une quelconque hostilité envers Steiner. Cet ouvrage unanimement
respecté de Goodrick-Clark “Les racines occultes du nazisme”,
est l’un des rares livres d’un universitaire sérieux sur un sujet qui
est généralement la cour de récréation des théoriciens du complots et
des occultistes amateurs. Ce livre est une analyse approfondie de
“l’Ariosophie”, une autre branche de la Théosophie viennoise, qui a
poussé plus loin que Steiner le mythe aryen. Or l’Ariosophie a exercé
une influence directe sur Hitler. Goodrick-Clarke mentionne qu’à la fin
du XIXe siècle, Steiner s’est personnellement impliqué dans les cercles
théosophiques de Vienne qui sont à l’origine du “genre particulier de
théosophie adopté par les ariosophes pour leur mouvement völkish.”
(völkish : mouvement nationaliste allemand raciste ndt) (Racines occultes du nazisme,
Wellingborough, 1985, p. 29). Il souligne également que “la structure
même de la pensée théosophique se prêtait à l’adoption du völkish” (idem
p. 31). En 1908, durant la période où Steiner était à la tête de la
Société Théosophique Allemande, un théosophe allemand nommé Harald
Grävell a publié un article important dans le principal journal
ariosophe de Vienne. Grävell y expose une conception entièrement
théosophique de la race ainsi qu’un programme pour restaurer l’autorité
aryenne dans le monde. Les sources occultes qu’il mentionne sont des
textes d’Annie Besant, qui a succédé à Blavatsky en tant que dirigeante
de la Société Théosophique Internationale à Londres, et Rudolf Steiner,
le Secrétaire Général de la Section allemande, à Berlin (idem. p. 101).
Grävell cite en particulier un texte de Steiner, Blut ist ein ganz besonderer Saft
qui démontre « l’intérêt théosophique pour les idées racistes” (ibid.
p. 242). Ce texte de Steiner est disponible en français sous le titre “Le sang est un suc tout particulier”.
Goodrick-Clarke montre également que les ariosophes ont été influencés
par le romantisme du XIXe siècle, Haeckel et le Monisme, exactement
comme Steiner l’avait été.
Tout cela prouve-t-il que Rudolf Steiner
ait été personnellement responsable d’avoir façonné la vision du monde
perverse d’Hitler ? Bien sûr que non, et notre article ne contient aucun
propos de ce genre. Ce que les recherches minutieuses de
Goodrick-Clarke veulent montrer, c’est que les frontières entre
l’Anthroposophie proprement dite et d’autres mysticisme de la race et du
nationalisme occulte étaient extrêmement poreuses. Bons nombres des
groupes ésotéristes d’extrême-droite de l’entre-deux-guerres, attirés
par la doctrine des races-racines et par ce corpus d’idées obscures,
dont Steiner fit la promotion, ont eu un impact indéniable sur la pensée
nazie. Ce point est corroboré par de nombreux spécialistes. James Webb
écrit :
“Il ne fait absolument aucun doute qu’Hitler croyait à une de l’évolution occulte de type théosophique.” (Webb, The Occult Establishment, Chicago, 1976, p. 313).
Webb décrit également plusieurs zones
importantes de chevauchement — théorie raciale, Atlantide, Aryens, entre
autres — entre l’Anthroposophie et la Théosophie d’une part, et les
systèmes de croyance de l’appareil nazi, en particulier d’Hitler,
Himmler et Rosenberg, d’autre part.
Et si cette étude était encore trop
“partiale” pour Waage, il pourrait consulter les travaux d’Eduard
Gugenberger et de Roman Schweidlenka, qui nous apprennent beaucoup de
choses concernant Steiner. Ils le présentent comme une exception
honorable parmi les penseurs ésotéristes qui se sont lamentablement
illustrés en politique (voir Gugenberger & Schweidlenka, Erde Mutter-Magie und Politik,
Vienne, 1987, pp. 135-145). Mais même ces commentateurs favorables
soulignent que “Steiner a postulé une chaîne évolutive strictement
hiérarchique”, basée sur le modèle des races-racines, plaçant les
peuples germano-nordiques au niveau supérieur (idem. p.144). Ils
remarquent que, dans l’Anthroposophie de Steiner, “sa propre race et sa
propre culture apparaissent comme le stade actuellement le plus élevé du
développement spirituel de l’humanité” (ibid. p.145). Gugenberger et
Schweidlenka eux-mêmes soulignent donc un racisme évident et une
justification de l’injustice sociale, que l’Anthroposophie propage sous
couvert de révélation spirituelle. Il est donc normal que les néo-nazis
contemporains s’inspirent considérablement des enseignements de Steiner.
Ignorant toutes ces preuves, Waage nie
catégoriquement les parallèles idéologiques entre l’Anthroposophie et le
National-Socialisme, particulièrement ses variantes ésotériques et
environnementalistes. Les lecteurs de l’Humaniste qui
s’inquiéteraient du fait que nous n’ayons pas cité nos sources
historiques sur cette question peuvent vérifier notre interprétation
contraire à l’historiographie courante sur la vision nazie du monde et
sur ses origines idéologiques. Même les œuvres qui ne mentionnent
Steiner et l’Anthroposophie qu’en passant, tout comme les nombreux
contributeurs de la démagogie autoritariste de droite, seront utiles
pour rectifier l’image d’un Steiner “rationel et humaniste », telle que
Waage la décrit.
2. L’incident de 1922.
Waage écrit que “Steiner lui-même a été
victime d’une tentative d’assassinat par le mouvement nazi en 1922”. Il
entend prouver ainsi que Steiner était totalement opposé au Nazisme.
Avant d’examiner cet événement de 1922, il nous faut remarquer la
logique particulière invoquée ici. Si Waage pense que l’identité de
l’assassin d’un personnage public nous apprend quelque chose sur
l’identité de la victime, il devrait aussi en conclure que Trotsky
n’était pas bolchevique et que Rabin n’était pas Juif, et que les
dirigeants nazis Ernst Röhm et Gregor Strasser etaient des anti-nazis,
puisque Hitler les a fait exécuter en 1934.
Mais c’est surtout l’événement lui-même
qui est discutable. Pour rapporter cet incident de 1922, Waage évoque en
effet des détails erronés. Ce qui s’est réellement passé à Munich en
mai 1922, c’est qu’un groupe de voyous d’extrême-droite ont perturbé une
conférence grand-public de Steiner et ont semble-t-il essayé de
l’agresser physiquement après qu’il eut fini de parler. Mais ils ont été
repoussés par les partisans de Steiner. Appeler cette bagarre dans une
salle de conférence une “tentative d’assassinat” est une exagération
infondée. ll n’existe aucune preuve que les assaillants de Steiner
auraient eu l’intention de le tuer. De plus, il n’y avait aucune
implication directe du “mouvement nazi” dans cette affaire. Les sources
anthroposophiques indiquent même plutôt que les assaillants de Steiner
appartenaient à une faction d’extrême-droite rivale. Ces faits sont
aisément vérifiables dans les descriptions anthroposophiques de
l’incident. L’interprétation exagérée que fait Waage de l’événement est
catégoriquement contredite par des témoins oculaires anthroposophes.
Quoique les anthroposophes essaient
fréquemment de transformer Steiner en un martyr de l’anti-hitlérisme en
soulignant l’incident de 1922, l’analyse de l’événement ne supporte pas
cette interprétation. L’affrontement a eu lieu à l’hôtel Vier
Jahreszeiten de Munich, où Steiner avait choisi de donner sa conférence .
Depuis 1919, cet hôtel était un point de rassemblement notoire de
l’extrême droite nationaliste de Munich. Il avait abrité le siège social
de la Société de Thulé – l’un des groupes völkisch le plus extrémiste –
et était la propriété de membres de cette organisation. Certains
anthroposophes affirment même que les agresseurs de Steiner
appartenaient à la Société de Thulé. Ce qui importe n’est pas de savoir
qui étaient les responsables de cette perturbation de la conférence de
Steiner, mais plutôt d’expliquer le choix de ce dernier de venir
s’exprimer à cet endroit, si l’on considère Steiner comme un
anti-nationaliste qui a abjuré la politique d’extrême-droite. En outre,
plusieurs membres éminents de la Société Thulé avaient des liens avec
Steiner et l’Anthroposophie, y compris Rudolf Hess, le principal allié
de l’Anthroposophie durant le Troisième Reich.
Comment nous faut-il comprendre cette
situation alambiquée ? Comme nous l’avons déjà indiqué, dans la période
de l’entre-deux-guerres les frontières entre les organisations du
spectre occulte nationaliste réactionnaire étaient tout à fait poreuses,
avec des groupes concurrents se chevauchant dans leurs compositions et
dans leurs idéologies. L’Anthroposophie faisait partie de ce spectre, de
même que plusieurs précurseurs directs des nazis. Goodrick-Clarke
fournit un exemple édifiant de ce phénomène. En 1923, immédiatement
après sa venue en Allemagne, l’occultiste et théoricien russe d’un
complot antisémite, Grégor Schwartz-Bostunitsch “est devenu un
anthroposophe enthousiaste” (Occult Roots of Nazism, p. 170). À
la fin de la décennie, Schwartz-Bostunitsch avait quitté
l’Anthroposophie, la considérant finalement comme un rouage
supplémentaire de la conspiration occulte internationale. Il devint plus
tard un officier de la SS.
De tels exemples sont loin d’être isolés,
comme en attestent les écrits concernant les manifestations
ésotérico-politiques allemandes. Le brassage constant des groupes de
droite et des groupes ésotériques est un thème majeur du livre Occult Establishment de Webb.
Il contient un examen approfondi des interpénétrations et des
hostilités mutuelles entre Steiner et ses partisans d’une part, et les
militants du mouvement völkish de l’autre. Webb en conclut que “Steiner
n’était pas vraiment étranger à la pensée völkisch”. Il montre que la
“réaction völkisch [à l’encontre de Steiner] trahissait le fait que les
deux camps fonctionnaient sur le même niveau. Et une partie de la rage
völkisch contre Steiner s’explique par le fait que les partisans de ce
mouvement se sont rendu compte qu’il y avait [dans l’Anthroposophie] une
autre vision de l’univers qui prétendait également être
“spirituelle”(p.290). Le déclenchement des hostilités entres les groupes
völkisch et l’Anthroposophie n’était pas dû à des différences
fondamentales entre les deux courants, mais au contraire à leur
proximité idéologique marquée. En effet, ce sont ces affinités
idéologiques fondamentales qui les ont rendu rivaux. Ainsi, les leçons à
tirer de l’incident de 1922 se rapprochent de la thèse de l’influence
mutuelle entre le Nazisme naissant et les anthroposophes.
En plus de déformer et de mal comprendre
l’incident de 1922, Waage donne encore deux arguments concernant Steiner
et les Nazis qu’il pense être la preuve de l’anti-nazisme de Steiner :
– la critique par Steiner, en 1920, de l’utilisation abusive de la croix gammée ;
– sa critique de Hitler, en 1921, affirmant que celui-ci serait sous des influences spirituelles nuisibles.
Ces deux arguments reposent sur une
incompréhension profonde du contexte historique. Waage se réfère en
effet à une brève remarque, faite en 1920, au sujet de la “bestialité
qui s’exerce en Allemagne sous la bannière de la croix gammée.” Waage
donne tout d’abord une date erronée : Steiner a prononcé ces paroles le
10 septembre 1923 (voir Rhythmen im Kosmos und in Menschenwesen. Wie kommt man zum Schauen der geistigen Welt ? GA 350, p. 276 — Rythmes dans le cosmos et dans l’être humain.
EAR) (même s’il a fait une autre remarque révélatrice à propos de la
croix gammée en 1920). Mais même sans mélanger les deux remarques, il
est peu probable qu’un quelconque commentaire sur l’utilisation de la
croix gammée, en 1920, ait été dirigé contre le Parti Nazi en tant que
tel. En effet, ce parti n’a pas été officiellement constitué avant avril
1920, puis est resté minuscule et très peu connu durant un certain
temps. En outre, les Nazis n’ont pas adopté l’emblème de la croix gammée
avant l’été 1920, et les bannières caractéristiques à croix gammée
n’ont été conçues que deux ans plus tard (William Shirer, The Rise and Fall of the Third Reich, New York 1960, 43-44). En fait, après vérification de la citation donnée par Waage, nous avons trouvé ceci : “Ce symbole [la svastika] que
l’Indien ou l’ancien Égyptien regardaient au moment où il parlait de son
Brahman sacré, on le trouve aujourd’hui sur le billet russe de mille
roubles ! Ceux qui font de la haute politique là-bas savent comment
influencer l’âme humaine. Ils savent que ce que la marche victorieuse de
la svastika signifie — cette svastika qu’un grand nombre de personnes
portent déjà en Europe. Mais ils ne veulent pas écouter ce qu’il y a à
comprendre concernant les symptômes les plus importants, c’est-a-dire
les secrets de l’évolution historique actuelle”. (Steiner, Geisteswissenschaft als Erkenntnis der Grundimpulse sozialer Gestaltung, GA 199, p. 161, speech 27.08.1920).
Sur la
base de la propre citation de Waage, Steiner s’opposait à l’emploi
ostensible de la Svastika par les Bolcheviques : il n’a fait absolument
aucune mention des Nazis. Pourtant, ne serait-il pas possible que
Steiner ait exprimé une hostilité générale envers la pensée raciste,
associée alors à la svastika ? C’est très peu probable. Considérons un
autre commentaire de Steiner, tiré d’une conférence faite à Dornach en
1921, critiquant l’utilisation de la croix gammée comme symbole
politique :
“L’Asie ne peut pas comprendre des
concepts comme ceux que possède l’Europe. Les Asiatiques veulent des
images. Ces abstractions, ces concepts que l’Européen possède,
l’Asiatique n’en veut pas, ils blessent son cerveau. Un symbole comme la
svastika — il s’agit d’un ancien symbole solaire — était présent
autrefois dans toute l’Asie. Les vieux Asiatiques s’en souviennent
encore. Certains politiciens bolcheviques ont été suffisamment avisés,
tout comme les Völkischen allemands, pour utiliser cette ancienne croix
gammée comme symbole. Celle-ci produit une beaucoup plus grande
impression sur les Asiatiques que ne le ferait n’importe quel concept
marxiste. Le marxisme se compose de concepts : cela ne les impressionne
guère. Mais un tel symbole, cela fait impression sur ces populations
asiatiques.” (Steiner, Geschichte der Menschheit, p. 261)
Il faudrait être bien borné pour interpréter un tel passage comme un avertissement contre les politiques racistes.
Qu’en est-il de la critique initiale qu’a
fait Hitler de Steiner ? Waage cite un article de 1921 de Hitler, qui
accuse Steiner de “gâter la base spirituelle du peuple”. Tirer
profit de cette brève remarque comme étant un rejet de la philosophie de
Steiner, c’est bien mal comprendre à la fois la citation et son
contexte plus général. La citation tronquée de Waage donne en effet
l’impression que le passage serait une dénonciation générale des effets
délétères de la doctrine spirituelle de Steiner. En fait, l’article de
Hitler du 15 mars 1921 — la seule référence mentionnant Steiner dans les
écrits de Hitler durant la vie de Steiner — est dirigée non pas contre
Steiner, mais contre le ministre allemand des Affaires étrangères,
Walter Simons. (Voir Adolf Hitler, Sämtliche Aufzeichnungen
1905-1924, Stuttgart 1980, 348-353). Hitler mentionne simplement Steiner
en tant qu’“ami” de Simons, convaincu que ce dernier a été influencé
par Steiner. Comme on peut s’y attendre de la part d’un démagogue
chevronné, la critique de Hitler à propos du Ministre des Affaires
étrangères – et par extension de Steiner – n’a que peu de rapport avec
la politique réelle de l’un ou l’autre. En effet, à ce moment là, les
anthroposophes portaient les mêmes accusations qu’Hitler sur Simons.
Steiner lui-même avait d’ailleurs condamné sans équivoque Simons en des
termes extrêmement forts, tout comme Hitler, pour les mêmes raisons. Si
la formule employée par Hitler montre du mépris envers Steiner, elle ne
nous dit en revanche rien au sujet des concordances et des discordances
de leurs systèmes de croyances respectifs.
Hitler était bien souvent agacé par les
prétendus réformateurs spirituels comme Steiner, car il pensait que
ceux- détournaient l’attention de la véritable lutte, laquelle se jouait
dans le domaine politique et non spirituel. Ceci ne signifiait pas à
proprement parler une hostilité philosophique fondamentale envers les
enseignements de Steiner. En effet, Hitler faisait souvent des critiques
similaires envers certains membres dévoués du Parti Nazi. Si l’on
examine un cas analogue, celui d’Artur Dinter, un spiritualiste cosmique
comme Steiner, analysé par l’historien George Mosse, on peut lire les
conclusions suivantes :
“Déjà dans Mein Kampf, Hitler
critiquait sévèrement les “réformateurs religieux” völkisch. Considérant
les vues de Hitler sur la nature du mysticisme et de la “science
secrète”, cette critique pourrait sembler contradictoire. Cependant,
elle se comprends très bien quand on en considère les raisons profondes.
En effet, les dirigeants völkisch étaient aux yeux d’Hitler des
“membres de sectes”, qui devaient être broyées par le vrai “mouvement”,
car ces réformateurs affaiblissaient selon lui la vraie lutte contre
l’ennemi commun : la communauté juive. Ils dispersaient les forces
nécessaires pour mener ce combat. Fondamentalement, la critique d’Hitler
à l’encontre d’hommes comme Dinter consistait à dire qu’ils ne
concentraient pas complètement leur critique idéologique sur les Juifs.
Cela confirme à nouveau notre thèse selon laquelle Hitler aurait
transformé la révolution allemande, dont de nombreux adeptes völkisch
rêvaient, en une révolution anti-juive, ayant ainsi concrétisé et
objectivé une idéologie qui sinon serait restée trop floue pour devenir
un mouvement populaire. Les idées spiritualistes et théosophiques ont
donc été reléguées à l’arrière-plan et leurs adhérents réduits au
silence, ou ignorés.” (Mosse, The Crisis of German Ideology, New York 1964, pp. 306-307).
Les recherches historiques contredisent
donc l’interprétation de Waage au sujet des invectives échangées entre
Steiner et Hitler. Cette dernière est en outre tout à fait incompatible
avec les déclarations très explicites de Steiner. Replacés dans leur
contexte historique, ces échanges parfois virulents entre Steiner et les
dirigeants völkisch, loin d’exonérer Steiner, fournissent en réalité
une preuve supplémentaire de l’importance de sa contribution à
“l’idéologie floue” qu’Hitler a mise en pratique ultérieurement.
3. Répudiation de collaborateurs anthroposophes.
Waage nous informe que “qu’un membre
dirigeant des écoles Steiner en Allemagne, qui a maintenu les écoles
ouvertes jusqu’en 1941 avec l’approbation du régime nazi, a été après la
guerre exclu de toutes les écoles Steiner.” Waage ne nomme pas cette
personne, mais le contexte indique clairement qu’il doit s’agir de René
Maikowski ou Elisabeth Klein, qui ont négocié avec les responsables
nazis de l’éducation pour garder les écoles Waldorf en activité aussi
longtemps que possible. L’affirmation selon laquelle Klein ou Maikovski
auraient été expulsés du mouvement Waldorf après la guerre est sans
fondements. Maikovski fut l’un des personnages qui a joué un rôle
important dans le rétablissement de l’école Waldorf de Hanovre après la
guerre. Et Klein a enseigné dans une école Waldorf de 1950 à 1965. Tous
deux furent donc très actifs dans le mouvement Waldorf après 1945,
publiant des articles dans ses revues, aidant à mettre sur pied de
nouvelles écoles, à former d’autres professeurs, etc. Tous deux ont reçu
un soutien énergique du siège de la Société Anthroposophique
Universelle à Dornach.
Waage voudrait faire croire à ses
lecteurs que les collaborateurs nazis n’étaient plus les bienvenus au
sein des organisations anthroposophiques après la guerre. C’est le
contraire qui s’est produit. Günther Wachsmuth a continué sans
interruption à occuper la plus haute fonction au sein de
l’Anthroposophie internationale, malgré le fait qu’il ait exprimé son
admiration pour les Nazis. Il n’y a aucune trace non plus de mesures qui
auraient été prises à l’encontre de Ehrard Bartsch, principal promoteur
de l’agriculture biodynamique, collaborateur SS et admirateur de
Hitler. De nombreux anciens nazis ont fait carrière au sein du mouvement
anthroposophique après 1945, y compris Friedrich Benesch, Ernst
Harmstorf, Heimo Rau, Gotthold Hegele, Werner Voigt, and Udo
Renzenbrink. Même Uwe Werner, ayant accès aux documents internes,
pourtant très empressé d’inclure tous les détails imaginables à
décharge, concède que les anthroposophes n’ont effectué aucune
introspection collective après 1945 :
“Curieusement, les anthroposophes
n’ont ni discuté ni décrit en détail leur comportement durant la période
nazie après l’année 1945.” (Werner, Anthroposophen in der Zeit des Nationalsozialismus, p. 2)
En effet il souligne qu’après la guerre,
les anthroposophes “plus ou moins consciemment, ont refusé de raviver
les controverses au sujet du comportement de certains anthroposophes
durant la pédiode nazie » (ibid.). Werner ne mentionne pas une seule
exception à cette politique. Il précise que les seules critiques
survenues après-guerre “ont à peine exprimé quelques réserves au sujet
de certains individus” (ibid. p. 364).
Au lieu de faire leur auto-critique de ce
que furent leurs rapports avec les Nazis, les anthroposophes
d’après-guerre sont simplement retournés à leurs affaires habituelles et
ont étouffé toute discussion sur les aspects les plus sombres de leur
passé. À ce jour, la grande majorité des anthroposophes nient totalement
le volumineux dossier de leur collusion avec les Nazis. Ce dossier ne
se résume pas, comme Waage le suggère, à quelques cas isolés, comme
Maikowski ou Klein. Le travail de Werner — en dépit des intentions de
son auteur — fournit des preuves abondantes de ce qu’était l’ampleur de
cette collusion. En effet, tout au long de son ouvrage, Werner énumère
des cas précis d’individus qui étaient à la fois des anthroposophes
actifs et des membres du Parti Nazi. Il montre aussi que l’ampleur des
imbrications, au niveau des organisations et des personnes, entre la
Société Anthroposophique et le Parti Nazi étaient suffisamment
importantes pour préoccuper la faction anti-ésotérique des Nazis. Il
révèle enfin que les responsables anthroposophes étaient près à aller
très loin pour protéger les membres du Parti dans ses rangs (voir, par
exemple, Werner p.72).
Il est loin d’être insignifiant que
certains anthroposophes aient voulu rester Nazis en bonne et due forme
tout en appartenant au milieu anthroposophique. En outre, la loyauté des
anthroposophes à l’égard de leurs camarades nazis a persisté même après
la défaite du Troisième Reich. Ainsi, l’avocat de Walter Darré à
Nuremberg était l’anthroposophe Hans Merkel. Jusqu’à la fin de sa vie de
son client, Merkel est resté un proche confident de Darre, théoricien
notoire des races et ancien ministre au sein du cabinet de Hitler. Il a
également défendu le criminel de guerre nazi Otto Ohlendorf. Après
qu’Ohlendorf ait été condamné et pendu pour l’assassinat de 90.000
Juifs, c’est le pasteur anthroposophe Haverbeck a officié lors de ses
funérailles. Ni repentis, ni désabusés, les anthroposophes
d’après-guerre furent cohérents vis-a-vis de leurs allégeances
politiques antérieures.
Hélas, ce n’est pas le seul contresens
que Waage ait commis dans sa réponse à notre article. Car ce dernier
n’est manifestement pas familier des aspects les plus connus de
l’histoire du mouvement anthroposophique durant le Troisième Reich.
Waage écrit qu’un « prétendu jardin biodynamique aurait existé” au camp
de concentration de Dachau. Prétendu ? Aurait existé ? Nous espérons que
Waage n’est pas un de ces anthroposophes qui croit que les chambres à
gaz d’Auschwitz auraient prétendument existées. Le jardin biodynamique
de Dachau n’était nullement prétendu, mais bien réel. Il était supervisé
par un anthroposophe : Franz Lippert. Son existence a été attestée par
un grand nombre de sources, à la fois anthroposophiques et savantes. En
effet, ce jardin est décrit en détail par l’une des sources dont Waage
se gargarise.
L’ignorance complète de toute cette
information pourtant aisément accessible n’est nullement étonnante,
puisque Waage a voulu se convaincre que Anthroposophie et écofascisme
ne contient qu’une version “simpliste” de l’histoire de l’imbrication
de l’Anthroposophie et du Nazisme. Cette incompréhension est basée sur
sa conception singulièrement simpliste et étonnement ignorante de
l’Histoire. En réalité, le récit relaté dans notre article est celui
d’une histoire très complexe. Les anthroposophes feraient bien de
reconnaître enfin ce que furent les complexités et les contradictions de
leur propre passé.
L’Anthroposophie aujourd’hui
Waage consacre une grande partie de sa
réponse à des questions que notre article n’avait pourtant pas abordées,
comme les activités bénévoles caritatives des écoles Waldorf dans
divers pays du monde. Bien qu’il soit difficile de voir en quoi ces
sujets ont à voir avec la question de la relation entre l’Anthroposophie
et l’écofascisme, Waage semble penser qu’elles entrent en ligne de
compte pour réfuter l’article.
Il affirme notamment que ces “accusations
perfides” contre l’Anthroposophie nuisent aux “enseignants, aux élèves
et aux parents” des écoles Waldorf. Nous ne comprenons pas pourquoi
s’interroger à propos de l’idéologie sous-jacente d’une école pourrait
être néfaste à qui que ce soit. Nous pensons au contraire qu’il est bien
plus néfaste de laisser cette idéologie dans l’ ombre. Nous espérons
que la leçon que Waage a apprise lors de sa scolarité dans une école
Waldorf n’est pas que les anthroposophes ont toujours raison et leurs
détracteurs toujours tort. Si c’est le cas, notre propre expérience est
assez différente.
Waage fait grand cas du récent rapport
des anthroposophes néerlandais visant à exonérer Steiner de l’accusation
de racisme. De manière incroyable, il considère ce rapport comme une
preuve de ce que les anthroposophes se confrontent honnêtement avec leur
propre passé de compromissions. Waage lui-même admet que Steiner a dit
un certain nombre de choses “ridiculement grotesques et insultantes” à
propos des Noirs, des Asiatiques, et autres peuples, etc. Mais il
minimise ces propos en arguant du fait qu’ils seraient soi-disant
“marginaux” parmi les croyances principales de Steiner. Waage ne semble
pas avoir réfléchi à la différence fondamentale qui existe entre sa
propre position, qui est éthiquement incohérente, et celle du rapport
néerlandais, qui contredit les faits eux-mêmes. On aurait en effet pu
comprendre que la commission conclue que l’Anthroposophie n’est pas
fondamentalement une doctrine raciste. Mais ce n’est pas la conclusion à
laquelle la commission néerlandaise à aboutie. Au contraire, leur
rapport conclu qu’ « aucune théorie raciale et nulle opinion raciste ne
peut être attribuée à Steiner”. Nous répétons : selon l’avis de la
commission, que Waage semble approuver, Rudolf Steiner ne soutenait
aucune opinion raciste quelle qu’elle soit, et ses écrits ne contiennent
aucune théorie raciale.
Notons, tout d’abord, que cette
conclusion renverse complètement la thèse des anthroposophes eux-mêmes,
qui prétendent que le racisme de Steiner serait pardonnable car il était
un “produit de son époque” — argument qui soit dit en passant pourrait
être utilisé pour justifier un grand nombre d’atrocités commises au XXe
siècle.
Jusqu’à présent, l’attitude des
anthroposophes envers le racisme de Steiner à consisté à dire :
ignorez-le et bientôt on n’en parlera plus. Mais, avec le rapport
néerlandais, cette attitude de complicité silencieuse a cédé la place à
un déni pur et absolu. Rudolf Steiner, nous dit-on maintenant, n’a
jamais tenu de propos raciste de sa vie. Nous sommes consternés que des
gens qui se prétendent humanistes puissent déployer un argumentaire
aussi spécieux. Prétendre que Steiner ne soutenait aucune opinion
raciste n’est rien moins qu’un signe de malhonnêteté, d’ignorance ou de
mauvaise foi. Une personne dénuée d’opinions racistes n’aurait pas pu
dire :
“La race des Nègres ne fait pas
partie de l’Europe. (…) La transplantation des Noirs en Europe est une
chose horrible. (…) La race blanche est la race spirituellement
créatrice. (…) Les concepts endommagent le cerveau des Asiatiques”
Sans oublier qu’il a qualifié les peuples
aborigènes de “dégénérés”, de “décadents” et de “retardés”. Ces
déclarations n’admettent aucune interprétation non raciste. Steiner a
bel et bien fait chacune de ces déclarations. Puis il a exprimé des
convictions similaires, encore et encore, alors qu’il enseignait en tant
qu’autorité morale. Absoudre une telle pratique est incompatible avec
les valeurs humanistes.
Cette lamentable ignorance délibérée du
contexte historique est donc aggravée par la croyance selon laquelle les
écrits de Steiner ne contiendraient aucune théorie raciale. Ne
serait-ce que pour apprécier à quel point cette attitude est
intellectuellement fallacieuse, récapitulons brièvement les faits :
Durant plus d’une décennie, Steiner a été
le principal représentant public d’une des plus grandes branches de la
Théosophie. Or, l’une des principales contributions de la Théosophie à
l’occultisme consistait en la doctrine des races-racines. Steiner a
repris dans ses grandes lignes cette doctrine des races-racines et l’a
réintroduite dans l’Anthroposophie. Cette doctrine divise la famille
humaine en cinq races-racines (« Wurzelrassen », appelées aussi parfois
« Hauptrassen » ou « Grundrassen », races principales ou
races-primordiales), plus deux races supplémentaires devant apparaître
dans un futur lointain. Chaque race-racine est subdivisée en sous-races
(« Unterrassen »). Ces catégories sont biologiques (Steiner les qualifie
de races “héréditaires”) aussi bien que spirituelles. Or les
classifications raciales ne sont pas neutres chez Steiner : elles sont
disposées dans l’ordre croissant du développement spirituel. La
cinquième race-racine, la “race aryenne” – et au sein de celle-ci la
“sous-race germanique et nordique” – se trouvent au sommet de la
hiérarchie. Cette hiérarchie, à son tour, est une composante intégrante
de l’ordre cosmique. Ces idées sont explicitement énoncées et répétées
dans de nombreux livres, brochures, articles et conférences écrites et
publiées par Rudolf Steiner. Et cependant, nous assure Waage, elles ne
constituraient pas une théorie raciale ?!
Toute personne qui entame un dialogue
critique avec les anthroposophes et leurs défenseurs ne peut que
s’apercevoir du caractère douteux de tels propos. Un nombre croissant de
voix s’élèvent désormais pour poser des questions au sujet de
l’héritage politique de l’Anthroposophie(...)
Lien de l'ouvrage en anglais de Peter Staudenmaier :
https://ecommons.cornell.edu/bitstream/handle/1813/17662/Staudenmaier%2C%20Peter.pdf?sequence=1
10 allégations fausses de Staudenmaier sur Steiner :
https://www.defendingsteiner.com/refutations/anthroposophy-and-ecofascism.php
https://ecommons.cornell.edu/bitstream/handle/1813/17662/Staudenmaier%2C%20Peter.pdf?sequence=1
10 allégations fausses de Staudenmaier sur Steiner :
https://www.defendingsteiner.com/refutations/anthroposophy-and-ecofascism.php
Pour approfondir davantage le problème écologique et de la relation de l'homme avec la croissance exponentielle de l'économie de Marché et les possiblités limitées de la planète : Les auteurs peuvent toujours s'inspirer en France de l'excellent travail de Serge Latouche : "Ecofascisme ou Ecodémocratie ?
https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-2-page-279.htm
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