Abraham et la Philosophie de la Liberté - Le Christ cosmique de Rudolf Steiner



Deux articles enrichissants pour comprendre comment cette science spirituelle chrétienne qu'est l'anthroposophie permet d'entrevoir les liens posés par Dieu à Abraham et l'insertion d'une figure cosmique et universaliste du Christ-Logos par-delà tout dogmatisme.







http://www.mediafire.com/view/8go2tqr75l3rmq6/Abraham%2520et%2520la%2520philosophie%2520de%2520la%2520libert%25E9.pdf





Par David Schweizer, traduction de Daniel Kmiécik 

C'est justement sur le problème "Messie ou Christ" que l'on attribue un rôle particulier au Judaïsme. Dans une confrontation d'idées méticuleuse, et à l’appui de la recherche anthroposophique, David Schweizer parvient pourtant à des convergences surprenantes, qui devraient également ouvrir de toute nouvelles perspectives pour beaucoup d'Anthroposophes.
Le mot hébraïque Messie ou Meschiach signifie l'Oint. Le Christ est le mot grec pour Messie. Pour pouvoir mieux comprendre ce que signifie le Christ (ou Messie) dans le Judaïsme, nous allons brièvement retracer quel événement Rudolf Steiner relie avec le nom du Christ. (1)

Le Christ dans l'Anthroposophie


Pour être bref, on peut comprendre sous le nom de Christ, ou sous l'impulsion du Christ, le renouvellement et le renforcement des composantes humaines essentielles par le Logos créateur de l'univers, après qu'elles ont été altérées par l'influence de Lucifer et d'Ahriman. C'est pour cela qu'il était nécessaire que le Logos, en tant qu'entité divine sacrée, se rapprochât de l'être humain. Dans le Mystère du Golgotha, se réalise la plus grande approche possible par le Logos de l'humanité terrestre. Avec le Mystère du Golgotha, les forces du Logos agissent d'abord et avant tout sur la composante suprasensible de l'être humain, qui est à la base du corps physique (Rudolf Steiner l'appelle le "fantôme" [terme discutable en français, pour mieux cerner ce concept, voir De Jésus au Christ, éditions Triades. N.D.T.]), puisque c'est de lui qu'un jour naîtra la nature spirituelle la plus élevée de l'être humain: l'Homme-Esprit. Le Je humain (individualité humaine objective, N.D.T.) fut donc sauvé, parce que l'évolution de la conscience individuelle dépend en effet de l’intégrité du corps physique (même dans son fondement spirituel) [raison pour laquelle d'ailleurs, aucun membre du Christ en croix ne fut brisé, contrairement à l'habitude de cette époque. N.D.T.]. L'impulsion du Christ est une impulsion du Je. Les forces du Je cosmique se déversèrent sur le Golgotha et dans la terre. Dorénavant, l'homme peut les accueillir en lui par une vie d'amour et de spiritualité. (2a) Il y eut trois étapes préparatoires au Mystère du Golgotha, qui se sont déroulées dans les mondes spirituels, mais dont les effets eurent des conséquences sur l'humanité terrestre. Il s'agissait de la délivrance des trois autres composantes de l'être humain: le corps astral, le corps éthérique et le corps physique. (2b)
De nombreuses essences spirituelles collaborèrent à l'ensemble de ces quatre événements. La première essence est l'âme de Jésus, qui possède la qualité d'âme virginale, non corrompue, inhérente à l'humanité primordiale (Adam Kadmon), dans son état précédant l'influence luciférienne qui provoqua sa chute et son expulsion de l'état paradisiaque. De cette humanité globale, une part fut prélevée et conservée pour l'avenir. Cette part se présente en l'âme de Jésus (Jésus de la lignée de Nathan selon Rudolf Steiner, N.D.T.), qui suivit attentivement l'évolution de l'humanité et participa à la destinée de celle-ci par amour. Lors de ces quatre événements, qui servirent le salut des composantes humaines essentielles, cette âme virginale aida l'humanité et fut imprégnée de la présence d'un Archange, qui la seconda. Elle s'est incarnée aussi physiquement pour la première fois dans le corps de Jésus de Nazareth. (3) Cet Archange est l'une des entités que Steiner désigne du nom du Christ. On doit la voir en rapport étroit avec deux autres essences. l'une est le Logos, le Verbe divin universel et créateur, qui se trouve derrière tout événement du Christ. La seconde est une haute entité spirituelle, qui renferme dans une sorte de corps spirituel, en tant que "corps de lumière", le Logos Lui-même, considéré alors comme son essence profonde. Ce "corps de lumière" du Logos, et le Logos Lui-même qui lui est uni, sont descendus depuis les lointains de l'univers sur l'Ancien Soleil en devenant une entité cosmique. À cause de cette liaison avec le Soleil, Rudolf Steiner appelle ce "corps de lumière" du Logos le "sublime esprit solaire Christ". Ce grand esprit solaire fut désigné comme "VishvaKarman," par les Saints Rishis de l'ancienne Inde, comme "Ahura Mazdao" (Aura solaire) par Zarathoustra, et comme "Osiris" par les Égyptiens, avant de devenir "Hélios" chez les Grecs. L'Archange-Christ mentionné est un Archange qui, sur l'Ancien Soleil, a traversé une étape d'évolution humaine similaire à celle de l'humanité actuelle. Il fut l'esprit le plus élevé de l'Ancien Soleil et est aujourd'hui, en tant qu'Archange, l'esprit solaire dirigeant du Soleil et en même temps le régent de l'ensemble de notre système solaire. Il doit ce rang élevé à la circonstance de s'être imprégné du Logos sur l'Ancien Soleil déjà, et au fait qu'il s'était aussi uni simultanément au sublime esprit solaire enchâssant le Verbe divin, le Logos: " ... en s'identifiant avec l'élément divin créateur, le Verbe inexprimable, et par la substitution de toute gloire au don de soi, en s'en remettant au Verbe universel, le Christ, qui était régent d'une planète à l'époque de l'Ancien Soleil, étendit sa régence sur les autres planètes."(4) Le sublime Esprit solaire et le Logos, en tant qu'entités cosmiques, se situent bien au-delà de l'être humain et ne peuvent pas directement s'incarner dans un corps humain. Pour la réalisation du Mystère du Christ au Golgotha, il fallait donc l'entremise d'une entité plus proche de l'être humain, l'Archange-Christ. (5)
Il existe d'autres essences, qui ont été désignées par Rudolf Steiner par le nom du Christ, comme "l'agneau mystique", le Je universel et l'Unité des sept Elohim, qui a été appelée dans la Bible JHWH-Elohim (6) et qui est également porteuse de l'impulsion du Christ. On peut donc partir du fait qu'il existe beaucoup d'autres entités spirituelles auxiliaires dans l'événement du Christ. Derrière tout ces êtres se tient le Logos, qui a recours à elles, et celles-ci peuvent donc être désignées du nom du Christ pour cette raison. (7)

Le divin et son Nom – le monothéisme judaïque


L'essence de Dieu est appelée par divers noms dans le Judaïsme (Elohim, JHWH, JHWH-Zebaot, Kawod, etc.). Ces noms ont le sens d'attributs ou de manières d'opérer propres à la divinité. Ils expriment la manière dont Dieu agit dans le monde et le mode selon lequel il entre en relation avec l'homme. Dans leur signification originelle, ces noms de Dieu caractérisent donc des entités qui ne sont aucunement séparées de Lui (hypostases). Avec les Elohim, par exemple, on désigne cette force qui dirige et sépare. La force des Elohim apparaît à divers niveaux de l'échelle hiérarchique sacrée, à chaque fois selon qu'elle agit sur un plan plus élevé (donc plus dissimulée) ou moins élevé de l’émanation divine. C'est avec cette force que Dieu sépara la lumière des ténèbres, l'élément solide de l'élément liquide, etc., lors de la création du monde. Cette force peut donc revenir de droit à diverses entités et agir au travers d'elles. C'est ainsi que les dieux de l'Égypte, et d'autres peuples, des anges ou même des hommes (Moïse, voir Exode 33, 7) peuvent se voir désigner par le nom d'Elohim. Le nom JHWH a lui, une autre signification. Au moment où Moïse voulut contempler Dieu, celui-ci lui répondit: “ Je veux te faire savoir le nom de l’Éternel: “ Car je fais grâce à qui je fais grâce... ”et plus loin: “ JHWH, JHWH, Seigneur, miséricordieux et compatissant, lent à la colère et riche en fidélité et loyauté, qui garde fidélité à des milliers, qui supporte faute, forfait et péché, mais ne laisse [rien] impuni, châtiant la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils, sur la troisième et la quatrième [génération] ” (Exode 33, 19 et 34, 6-7). Le nom JHWH, par lequel Moïse appelle Dieu, signifie ici l'action divine, pleine de grâce à l'égard de l'être humain, mais qui exige de ce dernier la compensation de ses actes. Nous pouvons concevoir la non-exemption de la punition comme un renvoi à l'idée de Karma, qui est tout aussi familière au mystique judaïque que l'idée de réincarnation. Je montrerai plus loin combien ce nom JHWH est rattaché au Logos.
Dans ses aspects les plus cachés, Dieu ne peut plus être désigné par un nom. Plus on pénètre dans ses dimensions divines occultes, moins il est possible de nommer la divinité, car le sens n'en est plus accessible à l'homme. Font partie des dernières désignations, avant de parvenir à l'innommable, les caractérisations de En-sof (infini) et de Ajin (rien). Le nom de Dieu "Rien" est mentionné dans Exode 17, 7. Dans ce passage, les Israélites "tentent" Dieu, en demandant à Moïse si JHWH ou "Rien" est présent au milieu des nuées (la traduction allemande de ce passage est le plus souvent fausse [et naturellement la traduction française aussi, hélas! N.D.T.], puisqu'elle dit: "Dieu est-il parmi nous, ou non?"). Derrière cette question surgit l'idée que JHWH et "Rien" sont deux dieux différents, et non pas simplement deux noms pour un seul et même Dieu. Cette faute morale, d'un grand poids dans la mentalité du peuple, a eu pour conséquence l'apparition des Amalécites qui combattirent Israël. Les Amalécites ne ressemblent aux hommes que dans leur aspect extérieur et non dans leur nature profonde. Ils incarnent le mal séparé par Dieu. Avec l'assaut des Amalécites, les Israélites subissent les conséquences qu'entraîne la division du Dieu unique en dieux indépendants: l'attaque des forces adverses. Ce strict monothéisme n'empêche pas le Judaïsme de reconnaître l'existence d'un monde spirituel d'une grande richesse, rempli d'entités sans corporéités matérielles, de niveaux et d’attributs les plus divers. Le Judaïsme dispose de sa propre doctrine hiérarchique, d'où proviennent aussi les noms de Chérubin, Séraphin, Michael, Gabriel, Raphaël, Uriel, pour n'en citer que quelques-uns, utilisés également dans l'ésotérisme chrétien. Tout ce que Dieu fait dans le monde, il le fait par l'entremise d'entités spirituelles, qui sont le plus souvent désignées par le simple terme d'anges (Malak =Messager) dans la littérature judaïque non ésotérique - ou à l'appui d'Aristote – caractérisées comme des entités immatérielles douées de raison. Ce sont ces intelligences qui meuvent l'ensemble du cosmos et ont la maîtrise sur le devenir et la disparition de la nature. Sous ce rapport, elles possèdent même leur propre liberté dans l'exercice d'une volonté, analogue à celle de l'être humain, liberté qui leur est dévolue par Dieu au travers de Son émanation. (8) Lorsque Abraham, ou un autre prophète de l'Ancien Testament, déclare que Dieu lui a dit telle ou telle chose, cela signifie en règle générale qu'un ange lui est apparu. (9) Dans l'Exode 23, 20-21, on annonce au peuple d'Israël que Dieu lui envoie un ange qu'il doit écouter parce que le Nom de Dieu est en lui. On veut dire ainsi qu'une certaine volonté de Dieu se prolonge dans cet ange, si bien que c'est la volonté de Dieu qui s'exerce par l'ange. Une volonté divine de ce genre, qui se sert d'une entité spirituelle est aussi appelé "Verbe de dieu". (10) Par le Verbe, ou la Volonté de Dieu, c'est le Logos qui est considéré.
Le monothéisme judaïque se comprend donc tout à fait au sens de la parole de Paul dans 1. Cor. 12, 6: "Il existe diverses forces, mais un seul Dieu qui les produit toutes."

Le sens du nom JHWH et du Logos


Au commencement, Dieu seul existait et tout ce qui existe, que ce soit spirituellement ou matériellement, a pris naissance par un processus d'auto-épanouissement de Dieu. Dans ce "Rien", dont l'homme ne peut rien savoir, Dieu Lui-même donne l'impulsion interne au développement. Le déploiement de Dieu se réalise sur dix degrés, qui sont appelés les sefirot. Les sefirot sont les Logoi-créateurs, les paroles créatrices divines. (11) Ce sont des Noms de Dieu, c'est-à-dire contenant la sagesse divine, des forces d'actions vivantes. Rudolf Steiner, qui caractérise la doctrine des 10 sefirot comme la science spirituelle judaïque (12), en donne une bonne introduction dans son cycle de conférences consacrées à l'Évangile de Matthieu (13); Chaque étape se déploie à partir de la précédente et, en même temps, fait évoluer et progresser ses forces sur la suivante en les métamorphosant. Les 10 sefirot ne représentent pas des entités médiatrices entre Dieu et le monde, mais un élément divin à part entière, cohérent en lui-même, qui opère des transformations, sans excréter quelque chose de lui-même, au sens d'un processus donnant une hypostase. Les 10 sefirot sont Dieu, et non une création émanant de Ses forces, à laquelle appartiennent non seulement le monde matériel, mais aussi les mondes spirituels avec leurs hiérarchies. Le nom de Dieu JHWH est l'expression de ce grand auto-épanouissement divin. Le "J" désigne la première et la seconde sefira (le "Rien" [ou couronne suprême: Keter Elyon] et la sublime "Sagesse" [Hokma]), le "H" caractérise la troisième sefira [Discernement: Bina] (le niveau le plus élevé de la puissance des Élohim), le "W" regroupe les sefirot de la 4ème à la 9ème [la force ou rigueur: Gebura; la Grâce: Hesed; la Splendeur: Tiferet; La Victoire: Nesah; la Majesté: Hod; le Fondement du monde: Yesod], et signifie les noms divins des Élohim, EL et JHWH à un degré plus profond, tel qu'il est habituellement signifié dans l'histoire de la Bible à partir de l'apparition d'Abraham, et le dernier H signifie la dixième sefira. Cette ultime sephira est appelée Malkut (Royaume). Elle forme l'achèvement provisoire de l'auto-épanouissement divin. En elle se rassemble toutes la plénitude de toutes les forces des Logoi précédents. C'est pourquoi on l'identifie souvent au Plérôme, ou au Logos en tant que tel. (14) À partir de Malkut (Logos), se réalise la création (incluant celle des mondes spirituels). De la première à la dixième sefira, le cours divin procède du plus dissimulé-occulte au plus en plus manifesté-accessible à l’expérience. La dixième et dernière sefira est la limite, la transition de Dieu au créé. Elle est "proche" du monde terrestre et en particulier de l'être humain. C'est cette dernière sefira qui se tenait derrière toute l’approche de Dieu vers le peuple d'Israël et de Moïse. Par son Je, l'homme peut connaître la plus grande proximité de Dieu. Le principe divin du JE ou du JE-SUIS dans le Logos. La dixième sefira, qui représente le Logos, comme on l'a dit, est désignée comme le "JE-divin" dans la mystique judaïque. (15) Le rapport entre Malkut et le Je humain a aussi été exposé par Rudolf Steiner dans la conférence citée plus haut. (16)
Nous pouvons donc dire que le nom de Dieu JHWH exprime la chose suivante: 1. Le divin qui se déploie à l'extérieur de la création; 2.Le Verbe universel créateur (Logos) et 3. La proximité de l'existence de Dieu au sein des mondes célestes et terrestres créés du Logos. Cette proximité de Dieu s'exprime dans l'aspect bienveillant de Dieu, lorsqu'il est question de JHWH dans la Bible (Exode 34, 7; voir plus haut). Du point de vue anthroposophique nous pouvons dire, Dieu octroie cette qualité à tout esprit de la forme qui représente l'unité des sept Élohim dirigeants et, pour cette raison, porte le nom de JHWH.

L'approche de l'être humain par le Logos


Si nous lisons rigoureusement la Bible et les apocryphes, il est frappant de voir que le mot JHWH ne s’y rencontre pas isolément à de très nombreuses reprises, mais en relation avec le terme “ Kawod ” qui peut être traduit par splendeur, honneur ou gloire. Le principe divin qui apparut, en faisant retentir la parole divine sur le peuple d’Israël dans le désert, dans les nuées et les colonnes de feu, autant que sur Moïse sur le Mont Sinaï, et plus tard, dans le Tabernacle, entre les deux Chérubins sur l’Arche d’Alliance, est souvent désigné par le nom de Kawod-JHWH (splendeur de Dieu) et dans la littérature rabbinique autant que kabbalistique, par Shekina (ou demeure divine). Très souvent, Shekina et Kawod ne désignent pas directement la dixième sefira (Logos), mais une lumière divine émanant de cette dixième sefira, qui renferme les forces de la dixième sefira encore une fois dans un degré de sainteté atténué et, dans cette mesure, elle représente encore le Logos tel qu’il ressort du verset de Jean 1, 14: “ Et le Verbe devint chair et séjourna parmi nous, et nous vîmes sa gloire ”. (17) Dans sa forme purement divine, le Logos ne peut pas directement entrer en contact avec l’être humain. C’est la raison pour laquelle l’incarnation du Christ-Logos se produisit indirectement, en effet par l’entremise du Christ-Archange. Moïse voulait contempler la gloire de Dieu (Kawod) dans la forme pure de la dixième sefira. Dieu lui répondit toutefois: “ Aucun homme ne peut me voir et rester en vie ”. Moïse ne put contempler que l’aspect atténué du Kawod, le divin plein de grâce. (18)

La lumière du Messie en tant que sublime Esprit solaire Christ


Selon ce qu’on vient de dire, Kawod ou Shekina sont soit les dénomination de Dieu dans son pur aspect de Logos incréé, soit ils désignent une lumière spirituelle incréée et invisible, inhérente au Logos, dans sa forme atténuée, qui est aussi appelée le Saint Esprit, dont la partie inférieure est Sophia (la partie supérieure étant la seconde sefira: Hokma), ou coeur des mondes inférieurs. Cette lumière n’a pas de forme, mais elle a une voix. (19) Que Kawod ou Shekina puissent avoir cette double signification, cela tient au fait qu’elles se “ situent à la frontière entre le créé et l’incréé et qu’elles chatoient de part et d’autre de cette frontière ”, comme l’explique G.Sholem à l’endroit cité précédemment.
Outre cette lumière-Logos intérieure, invisible, informe, l’ésotérisme judaïque connaît encore un second type de Kawod. Elle peut adopter des formes visibles les plus diverses et on l’appelle aussi “ corps de la Shekina ” (Guf ha Schechina ou Schiur Koma). Elle apparaît comme le Chérubin sur le char divin dans la vision d’Ézéchiel. C’est une particularité des Chérubins que de pouvoir prendre toutes les formes possibles d’anges, d’animaux, ou d’êtres humains. Le Chérubin sur le char divin a une forme humaine. On le désigne aussi parfois comme l’Ange de la création, celui qui engendre l’origine de la création (Jozeph Bereschit) (Voir aussi l'explication donnée par Émile Bock dans Apocalypse – Considérations sur l'Évangile de Jean, N.D.T.), parce qu’il retient en lui les forces créatrices du Logos, dans son for intérieur, sous l’aspect du Kawod invisible et informe. (20)
Nous pouvons avancer ici la présomption qu’en ce qui concerne le corps spirituel de la Shekina, à laquelle le Logos est immanent, il s’agit vraisemblablement du sublime esprit solaire Christ, qui est décrit par Rudolf Steiner comme le corps de lumière du Logos, dont une forme déterminée pouvait être également contemplée dans les Mystères. Dans les sources judaïques elles-mêmes, il existe quelques indications au sujet d’un Événement-Messie se dissimulant derrière la manifestation du Kawod ou de la Shekina. Dans Isaïe 60, 1, il est dit: “Debout! Que brille ta lumière! Car elle vient ta lumière, et la gloire de l’Éternel se lève sur toi. ” Cette lumière, qui surgit en même temps que la gloire du Seigneur (Kawod), a constamment été identifiée avec le Messie. Dans un ancien commentaire rabbinique sur ce passage d’Isaïe 60, 1-2, (21), on renvoie au Psaume 36, 10, au sujet de cette lumière où il est dit: “ Car c’est auprès de toi qu’est la source de vie, c’est par ta lumière que nous voyons la lumière ”. On explique que la lumière, après qu’Israël eut scruté l’horizon, est la lumière du Messie. Cette lumière provient de la lumière spirituelle originelle du premier jour de la Genèse (Genèse 1, 4) et elle prit naissance avant la création du monde et de l’être humain proprement dite. Il est remarquable que la Lumière-Messie soit contenue dans une autre lumière, comme nous le connaissons du Logos-Christ qui est enchâssé dans le sublime esprit solaire. Dans le Midrasch, que nous avons cité, on rapporte aussi que Dieu a déterminé quatre “ êtres vivants ”, qui ont à porter le “ char de la gloire du Messie ” (22) - une indication claire sur le char de la vision d’Ézéchiel. Dans le Talmud, nous trouvons aussi une autre confirmation de l’identité entre la Lumière-Messie du Judaïsme et le sublime esprit solaire Christ. La preuve, que le “ Nom ” du Messie est apparu bien avant la création du monde, y est déduite du Psaume 72, 17: ”Qu’éternel soit son nom, qui s’est déployé avant le soleil.
Cette mise au même rang de la Shekina ou Kawod avec le Christ, nous la trouvons aussi en maints endroits parmi les sources chrétiennes, à savoir dans le Piétisme. (23) Ainsi dans 1 Cor. 10, 1-4, il est dit que les Israélites baptisés par les nuées, avaient bu à un rocher spirituel qui les suivait, et qui était le Christ. Mais c’est à partir des nuées que le Kawod-JHWH, proclamait la gloire de Dieu. (24)

Le Messie cosmique dans le Judaïsme


Avec l’aide de l’Anthroposophie, nous avons pu découvrir le Christ cosmique dans le Judaïsme. Nous avons montré dans le passage précédent combien le Logos joue un rôle central dans la conception du divin au sein du judaïsme. Derrière tous les événements du monde, la dixième sefira agit en tant que Logos, qui représente aussi dans l’Anthroposophie l’essence du Christ cosmique. La seconde entité, qui représente l’aspect cosmique de l’impulsion du Christ, le sublime esprit solaire Christ, nous l’avons découverte dans la Lumière-Messie et dans la Kawod visible du char divin de la vision d’Ézéchiel. Là où, dans les nombreux écrits de la Kabbale et en dehors de celle-ci, on parle de Chérubin sur le char divin, surgissent parfois des notions imaginatives qui renvoient à l’Archange-Christ. Cela requiert encore d’autres recherches. Dans le Judaïsme, il y a aussi un Messie relevant d’une dimension cosmique plus élevée, qui fournit le prototype de l’évolution des plus hauts degrés de l’âme: Neskama, Kaja et Jekida. (25) Ces degrés peuvent être mis au même niveau que le Soi Spirituel, l’Esprit de Vie et l’Homme Esprit.

L’apparition du Messie royal dans l’avenir et la destinée future du peuple juif


Dans le Judaïsme, l’événement de la rédemption qui est relié au nom du Messie, comme dans l’Anthroposophie, est un processus complexe, se déroulant sur plusieurs niveaux et sur une longue période de temps et n’impliquant pas seulement la participation d’une seule entité spirituelle. Dans les sources hébraïques, on signale l’existence d’un “ Messie-Roi ”. Lorsque ce Messie-Roi apparaîtra, il mettra fin à toutes les guerres, précisément la guerre de Gog et Magog menée contre le peuple d’Israël de retour d’exil. Le peuple d’Israël sera de nouveau réinstallé dans son pays et tous les peuples se rendront chaque année en pèlerinage à Sion (Jérusalem), pour y recevoir la doctrine divine et assister à la fête du Tabernacle (une fête michaëlique!). (Michée 4 & suiv.; Zacharie 12 & suiv., 14, 16). Le règne du “ Messie-Roi ” a bien lieu dans la vie présente, mais il n’a qu’une durée passagère. C’est une étape préliminaire à la véritable rédemption, lors de laquelle il y aura une résurrection à la vie éternelle dans un “ monde futur ” (Haolam haba), ce qui fait naître en partie l’idée que les deux plans, le règne préliminaire, en ce monde, et la délivrance plus décisive “ à venir ” dans l’autre monde, se déroulent parallèlement au niveau chronologique. (26)
Tout ce qui a été prédit pour l’époque messianique ne s’est pas encore entièrement accompli. La singularité de cette incarnation du Logos par l’entremise de l’Archange-Christ, voici 2 000 ans, ne signifie pas la conclusion – et cela du point de vue anthroposophique aussi – , mais bien le début d’un processus de rédemption, s’accomplissant lentement, et auquel les hommes doivent activement participer. Le Mystère du Golgotha a été exclu de la foi extérieure du Judaïsme, pour que la Gentilité, par cette renonciation, soit en mesure de trouver un accès au salut, à savoir, à l’impulsion du Christ, que le peuple d’Israël sert depuis sa naissance. Israël dut désormais rester en retrait et ne put contempler l’avènement du Golgotha “ jusqu’à ce que la plénitude des Nations soit parvenue au salut ” (Rom. 11, 25). Pendant tout ce temps, le Mystère du Judaïsme post-christique reste caché, d’un autre côté, au Christianisme. Paul sait, qu’on en viendra un jour à une autre “ apparition ” du Messie et que cela concernera significativement le peuple d’Israël. C’est ainsi qu’il enchaîne immédiatement à la fin de la citation précédente: “ Et ainsi tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit: Il viendra de Sion, le libérateur; il écartera de Jacob les impiétés. Et ce sera mon alliance avec eux, lorsque j’enlèverai leurs péchés. (26-28)... Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.” (Rom. 11, 26 & 11, 29) Paul ne devait manifestement encore rien savoir de précis sur cette apparition future du Rédempteur issu de Sion. Que cette apparition concerne et dépende du monde éthérique, ce que Rudolf Steiner a prédit pour notre temps, on ne le percevra que dans la suite de l’évolution en cours. Que le Judaïsme ait quelque chose de déterminant à faire avec la future apparition du Messie, cela a aussi été confirmé par Rudolf Steiner. De vive voix, il a indiqué une mission future des Juifs concernant le Christ: “ Les Juifs recevront de nouveau une mission en rapport avec le Christ. ” (27) Rudolf Steiner a officiellement défendu le Judaïsme, au moment où les antisémites reprochaient aux Juifs de s’en tenir “ au vieux cérémonial religieux de leur ancienne nation ” et de mener une existence à part. (28) C’est pourquoi, nous pouvons considérer comme non fondée toute affirmation selon laquelle Rudolf Steiner aurait été d’avis que le peuple juif eût dû se dissoudre après l’apparition du Christ. Non seulement, il aurait ainsi contredit Paul, mais il se serait aussi contredit lui-même sur beaucoup de choses qu’il a faites et qu’il a dites. Cette impression erronée a surgi, sur la base de quelques déclarations mal comprises (par son entourage, N.D.T.) de Rudolf Steiner, chez des personnes qui ne peuvent avoir par ailleurs qu’une connaissance très limitée de l’œuvre et de la vie de Rudolf Steiner.
 

David Schweizer, né en 1950 à Bâle, y est actif en tant qu’avocat et greffier. Il est de confession hébraïque, président de “ l’Union Sioniste de Bâle ”, et membre du conseil de la Branche Friedrich Nietzsche, de la Société Anthroposophique à Bâle. Info3, 6/2000



Notes :
(1) Les développements suivants se basent de manière déterminante sur les deux ouvrages de Oskar Kürten: Der Sonnengeist Christus in der Darstellung Rudolf Steiners et Jesus von Nazareth, mit Anhang Der Menschensohn und der kosmische Christus, tous deux aux éditions “ Die Pforte” de Bâle. retour
(2a) Voir Kürten, Jesus von Nazareth, P. 57; GA 155, 3ème conférence. retour
(2b) Voir Kürten, Jesus von Nazareth, P. 16 & suiv. retour
(3) Kürten, Jesus von Nazareth, P. 10 & suiv. retour
(4) Rudolf Steiner: GA 137, 10ème conférence. retour
(5) Kürten, Der Sonnengeist..., P. 54. retour
(6) Rudolf Steiner: GA 122 7ème conférence, P. 124; GA 129, conférence du 25.8.1911. retour
(7) Voir Kürten, Der Sonnengeist..., P. 67. retour
(8) Maimonides: Führer der Verunsicherten, II., Ch. 7 + 10. retour
(9) Maimonides: à l’endroit cité précédemment, II., Ch. 34 + 41. retour
(10) Maimonides: à l’endroit cité précédemment, I., Ch. 64. retour
(11) Voir Gershom Scholem: Die Geheimnisse der Schöpfung, P. 31. retour
(12) Rudolf Steiner: GA TB 727, 12ème conférence, P. 220. retour
(13) Rudolf Steiner: GA 123, P. 147 & suiv. retour
(14) Voir Gershom Scholem: Ursprung und Anfänge der Kabbala, P. 83; Diether Lauenstein: Der Messias, P. 232. retour
(15) Gershom Scholem: Die jüdische Mystik in ihrer Hauptströmungen, P. 236. retour
(16) Rudolf Steiner: GA 123, P. 147 & suiv. retour
(17) Voir Hanspeter Ernst: Die Schekhina in rabbinischen Gleichnissen, P. 61. retour
(18) Exode, 33, 18 & suiv., voir plus haut; Voir aussi Maimonides, à l’endroit cité précédemment, I. Ch.64. retour
(19) Gershom Scholem: Ursprung..., P. 85; G. Schlome: Die jüdische Mystik..., P. 120/121. retour
(20) Gershom Scholem: Ursprung..., P. 186 & suiv. Concernant la relation entre le Chérubin et le Logos, voir aussi G. Scholem: Die jüdische Mystik..., P. 123. Scholem présume que le Chérubin n’était autrefois rien d’autre que le Logos métamorphosé. retour
(21) Sermon du Midrasch, Poesikta Rabbati 36, voir Günter Stemberger: Midrasch, P. 170. retour
(22) Stemberger: à l’endroit cité précédemment, P. 171. retour
(23) Voir Mathias Morgenstern dans : JUDAICA, Contributions à la compréhension du Judaïsme, Mars 2000, Tome 1, P.56. retour
(24) Voir aussi Luc 21, 27; Daniel 7, 13. retour
(25) Voir Gershom Scholem: Von der mystischen Gestalt der Göttheit, P. 236. retour
(26) Daniel Krochmalnik: Die Zweidimensionale Eschatologie des Maimonides, dans JUDAICA¸ Juin1996, Tome 2, P. 121; Moritz Zobel: Gottes Gesalbter. Der Messias und die messianische Zeit, dans Talmud & Midrasch, P. 21 & suiv. retour
(27) Ludwig Tieben: Das Rätsel des Judentums, Post-face de Thomas Meyer, P. 254/256. retour
(28) Rudolf Steiner: GA 31, P. 378, 394 & suiv., 397 & 409. retour


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