Déodat Roché, le Catharisme et l'anthroposophie

!!! RAPPEL IMPORTANT ET HISTORIOGRAPHIQUE !!!  

La résurrection du pur et platonique amour chrétien prît forme avec Napoléon Peyrat et son Histoire des Albigeois puis au début du XX ème siècle avec de brillantes individualités telles que René Nelli et l'inoubliable Déodat Roché. Cette résurgence s'inscrivit d'autant plus dans le cadre spiritualiste et néo-gnostique florissant depuis le derniers tiers du XIX ème siècle en réaction au matérialisme significatif en pleine ascension alors. Mais beaucoup d'esprits universitaires après avoir reconnu la démarche sincère et sérieuse des travaux de Déodat Roché continuèrent à le dénigrer du fait de ses accointances avec l'anthroposophie ( plus que pour ses engagements avec la maçonnerie ou l'église gnostique de Doisnel ! ). De plus, on s'aperçoit depuis quelques années de nouveaux ouvrages de militants traditionnalistes catholiques quant à réecrire l'histoire des mouvements dits dualistes radicaux auquel appartiendrait celui des albigeois. Reprenant la qualification d'hérésie ou de gnose déviée pour mieux tromper tout esprit curieux de s'intéresser de plus près au sujet ! Les travaux archéologiques, historiographiques et scripturaires démontrent depuis près d'un demi-siècle que ce mouvement était profondément chrétien mais adversaire inconditionnel de Rome et de sa toute puissance sur les âmes en quête de sens !


Le Pog-stèle dressée par Déodat Roché en 1960

Quelques éléments biographiques :

http://www.chemins-cathares.eu/020203_deodat_roche.php



Déodat Roché rencontrera en personne Rudolf Steiner en septembre 1922 , reconnaissant durant toute sa vie pour toute la sagesse et la connaissance des Mystères chrétiens majeurs et notamment ceux qui ont traits à la question essentielle-existentielle du Mal que le Maître de Dornach dévoilera tout aux longs de ses conférences et oeuvres écrites. 
Une personnalité majeure au XXème siècle : Simone Weil (la Philosophe) lui rendra hommage à travers un échange épistolaire :
                        
 


http://encyclopediedusouterrain.blogspot.fr/2008/06/catharisme-par-simone-weil-lettre-de.html

" Je viens de lire chez Ballard votre belle étude sur l’amour spirituel chez les cathares. J’avais déjà lu auparavant, grâce à Ballard, votre brochure sur le catharisme. Ces deux textes ont fait sur moi une vive impression.
Depuis longtemps déjà je suis vivement attirée vers les cathares, bien que sachant peu de choses à leur sujet. Une des principales raisons de cette attraction est leur opposition concernant l’Ancien Testament, que vous exprimez si bien dans votre article, où vous dites justement que l’adoration de la puissance a fait perdre aux Hébreux la notion du bien et du mal. Le rang de texte sacré accordé à des récits pleins de cruautés impitoyables m’a toujours tenue éloignée du christianisme, d’autant plus que depuis vingt siècles ces récits n’ont jamais cessé d’exercer une influence sur tous les courants de la pensée chrétienne ; si du moins on entend par le christianisme les Églises aujourd’hui classées dans cette rubrique. Saint François d’Assise lui-même, aussi pur de cette souillure qu’il est possible de l’être, a fondé un Ordre qui à peine créé a presque aussitôt pris part aux meurtres et aux massacres. Je n’ai jamais pu comprendre comment il est possible à un esprit raisonnable de regarder le Yahvé de la Bible et le Père invoqué dans l’Évangile comme un seul et même être. L’influence de l’Ancien Testament et celle de l’Empire Romain, dont la tradition a été continuée par la papauté, sont à mon avis les deux causes essentielles de la corruption du christianisme.

Vos études m’ont confirmée dans une pensée que j’avais déjà avant de les avoir lues, c’est que le catharisme a été en Europe la dernière expression vivante de l’antiquité pré-romaine. Je crois qu’avant les conquêtes romaines les pays méditerranéens et le Proche-Orient formaient une civilisation non pas homogène, car la diversité était grande d’un pays à l’autre, mais continue ; qu’une même pensée vivait chez les meilleurs esprits, exprimée sous diverses formes dans les mystères et les sectes initiatiques d’Égypte et de Thrace, de Grèce, de Perse, et que les ouvrages de Platon constituent l’expression la plus parfaite que nous possédions de cette pensée. Bien entendu, vu la rareté des documents, une telle opinion ne peut pas être prouvée ; mais entre autres indices Platon lui-même présente toujours sa doctrine comme issue d’une tradition antique, sans jamais indiquer le pays d’origine ; à mon avis, l’explication la plus simple est que les traditions philosophiques et religieuses des pays connus par lui se confondaient en une seule et même pensée. C’est de cette pensée que le christianisme est issu ; mais les gnostiques, les manichéens, les cathares semblent seuls lui être restés vraiment fidèles. Seuls ils ont vraiment échappé à la grossièreté d’esprit, à la bassesse du cœur que la domination romaine a répandues sur de vastes territoires et qui constituent aujourd’hui encore l’atmosphère de l’Europe.

Il y a chez les manichéens quelque chose de plus que dans l’antiquité, du moins l’antiquité connue de nous, quelques conceptions splendides, telles que la divinité descendant parmi les hommes et l’esprit déchiré, dispersé parmi la matière. Mais surtout ce qui fait du catharisme une espèce de miracle, c’est qu’il s’agissait d’une religion et non simplement d’une philosophie. Je veux dire qu’autour de Toulouse au XIIe siècle la plus haute pensée vivait dans un milieu humain et non pas seulement dans l’esprit d’un certain nombre d’individus. Car c’est là, il me semble, la seule différence entre la philosophie et la religion, dès lors qu’il s’agit d’une religion non dogmatique.


Une pensée n’atteint la plénitude d’existence qu’incarnée dans un milieu humain, et par milieu j’entends quelque chose d’ouvert au monde extérieur, qui baigne dans la société environnante, qui est en contact avec toute cette société, non pas simplement un groupe fermé de disciples autour d’un maître. Faute de pouvoir respirer l’atmosphère d’un tel milieu, un esprit supérieur se fait une philosophie ; mais c’est là une ressource de deuxième ordre, la pensée y atteint un degré de réalité moindre. Il y a eu vraisemblablement un milieu pythagoricien, mais nous ne savons presque rien à ce sujet. À l’époque de Platon il n’y avait plus rien de semblable, et l’on sent continuellement dans l’œuvre de Platon l’absence d’un tel milieu et le regret de cette absence, un regret nostalgique.

Excusez ces réflexions décousues ; je voulais simplement vous montrer que mon intérêt pour le catharisme ne procède pas d’une simple curiosité historique, ni même d’une simple curiosité intellectuelle. J’ai lu avec joie dans votre brochure que le catharisme peut être regardé comme un pythagorisme ou un platonisme chrétien ; car à mes yeux rien ne surpasse Platon. La simple curiosité intellectuelle ne peut mettre en contact avec la pensée de Pythagore et de Platon car à l’égard d’une telle pensée la connaissance et l’adhésion ne sont qu’une seule opération de l’esprit. Je pense de même au sujet du catharisme.

Jamais il n’a été si nécessaire qu’aujourd’hui de ressusciter cette forme de pensée. Nous sommes à une époque où la plupart des gens sentent confusément, mais vivement, que ce que l’on nommait au XVIIIe siècle les lumières constitue – y compris la science — une nourriture spirituelle insuffisante ; mais ce sentiment est en train de conduire l’humanité par les plus mauvais chemins. Il est urgent de se reporter, dans le passé, aux époques qui furent favorables à cette forme de vie spirituelle dont ce qu’il y a de plus précieux dans les sciences et les arts constitue simplement un reflet un peu dégradé. C’est pourquoi je souhaite vivement que vos études sur les cathares trouvent auprès du public l’attention et la diffusion qu’elles méritent. Mais des études sur ce thème, si belles qu’elles soient, ne peuvent suffire. Si vous pouviez trouver un éditeur, la publication de ce recueil de textes originaux, accessible au public, serait infiniment désirable."
(http://isabelledescharbinieres.hautetfort.com/archive/2008/09/30/lettre-de-simone-weil-a-deodat-roche-sur-le-catharisme.html)

Il existe aux archives de l' INA, visible sur YouTube, une vidéo qui reflète toute la grandeur d'âme de cet homme engagé ! La vidéo ci-dessous s'efforce de nous présenter ce mouvement spiritualiste



 
Saluons José Dupré qui nous a quittés en 2021, collaborant étroitement avec Déodat Roché dès 1961 pour la qualité de ses ouvrages sur le pieux gnostique occitan avant de s'en éloigner ( afin de pourfendre pour des querelles personnelles et la société anthroposophique et la christologie de Steiner en contradiction avec ses propres convictions ou limitations dans ses recherches ).




Le 28 décembre 1904, Rudolf Steiner livrera quelques connaissances sur cette noble communauté d'esprits libres :
" (...) Ce qui se développait, notamment dans les villes, en relation avec l'esprit de la vie religieuse, est d'une importance particulière pour le progrès de la culture. Nous avons vu que les croisades sont la cristallisation d'une exaltation religieuse extrême. Nous avons vu fleurir la mystique allemande, notamment dans la région rhénane. Nous avons vu les frères de la Vie commune cultiver, indépendamment de Rome une piété profonde. Nous observons à cette époque deux courants différents : d'un côté, le bourgeois, préoccupé de l'élévation de son niveau de vie matériel, de l'autre, une vie spirituelle tournée vers l'intérieur.
Pendant le haut-moyen-âge, vie matérielle et vie spirituelle sont intimement mêlées. Pour le paysan, c'est à l'église qu'il doit l'abondance de ses récoltes et son sentiment religieux, tous deux bénis par elle. Au moment ou la compétence personnelle passe au premier plan, ces deux ordres de réalité se scindent. Le style architectural typique du Moyen-âge, que l'on nomme à tort gothique, est venu du Sud de la France, des régions où vivaient de pieux hérétiques comme les Cathares, les Vaudois dont le but était d'approfondir la vie intérieure et de rompre avec le luxe dans lequel vivaient les évêques et le clergé. Ils furent un foyer de vie spirituelle originale, qui influença fortement la mystique allemande."




CHAPITRE III

DOCTRINES RELIGIEUSES ET MORALES


( extraits de L' Eglise romaine et les Cathares Albigeois )

Il est surtout intéressant de connaître l'attitude religieuse et morale des cathares du Midi de la France. Nous y verrons la cause même du développement du catharisme et des croisades qui l'ont arrêté, nous rappellerons ensuite ces événements et nous en rechercherons les conséquences. Il y avait deux sortes d'adhérents au catharisme, celle des croyants et celle des purs chrétiens. Les croyants entendaient la prédication des ministres et recevaient leurs conseils ainsi qu'en témoigne le manuel de confession qui est au début du rituel occitan, mais les doctrines cathares n'étaient pas codifiées par des conciles, elles ne s'imposaient pas à la foi aveugle des fidèles.

Les caractères essentiels du catharisme étaient dans l'application d'une méthode particulière de connaissance spirituelle, dans le désir de libération de l'individualité humaine et dans la réalisation de la fraternité chrétienne au cours de vies successives. La connaissance de la constitution triple de l'homme comme esprit, âme et corps que nous trouvons dans le manichéisme primitif, était fondamentale. Les cathares l'étayaient de l'autorité de St Paul. Nous remarquons que les mythes de la création de la terre et de la descente des âmes dans des corps terrestres s'apparentent à ceux de Platon. Nous voyons déjà dans le platonisme ce dualisme cosmique entre l'esprit et la matière, qui se résout dans le monisme du Bien suprême parce qu'il n'est que transitoire. Nous trouvons dans le rituel cathare cette expression de pessimisme à l'égard de la vie terrestre actuelle : « O Seigneur n'aie pas pitié de la chair née de corruption, mais aie pitié de l'esprit qui est emprisonné » — no aias merce de la carnnade de corruptio, mais aias merce del esperit pausat en carcer... » — mais ce pessimisme est dominé par l'espoir de trouver à travers des vies successives la voie du salut, de faire la conquête de nouveaux corps spirituels et d'une terre nouvelle.

La doctrine des vies successives est une caractéristique très, nette du manichéisme qui fut, en quelque sorte, en Occident, comme un pythagorisme ou un platonisme chrétien. Jean de Lugio, docteur cathare italien, enseignait la doctrine des réincarnations et nous la retrouvons chez les cathares du Midi de la France. On sait aussi que leurs ministres se formaient en suivant les cours des Universités ; ils connaissaient les controverses des philosophes de l'école de Chartres. Ils s'apparentaient visiblement aux platoniciens de cette école : l'homme était rattaché à l'univers, il s'agissait pour lui de reprendre contact avec l'Esprit et d'obtenir l'aide du Christ. Les habitudes de discussion des cathares rappellent celles de Socrate, mais ils avaient aussi sa connaissance directe du génie intérieur, de l'Esprit, et la connaissance du Logos, du Verbe Universel, développée par Platon, c'est-à-dire la connaissance de l'Esprit consolateur et du Christ cosmique Homme Universel annoncés par Manès. 

MÉTHODE DE CONNAISSANCE 


Les croyants qui se préparaient à l'initiation par des pratiques de jeûne, les cathares qui s'y livraient pendant quarante jours après leur initiation et qui les reprenaient avant les grandes fêtes religieuses, n'avaient certainement pas pour but la recherche des souffrances, mais le détachement des sens qui facilite la méditation. La connaissance des doctrines considérées comme des indications et surtout des méditations sur l'Evangile de St Jean, avaient pour but d'amener une expérience religieuse.

En effet, au cas de discussion sur un point de doctrine, les initiés s'en remettaient à la vue directe du livre de Dieu ainsi que l'exemple en était donné par la « Vision d'Isaïe ».

 Il ne faut donc pas voir dans leur rite de l'imposition des mains, appelé Cossolament ou Consolament en langue d'oc, ou consolation, un sacrement qui fût considéré comme capable de créer un état de pureté, mais au contraire le signe que le premier stade de cet état était atteint et permettait à l'initié de reprendre contact consciemment avec l'Esprit consolateur, grâce à l'imposition des mains toute spirituelle du Maître intérieur, ainsi que l'âme pouvait le faire au moment de la mort.

Manès expliquait le rite de l'imposition des mains comme le signe d'une rencontre qui se produit par l'initiation aussi bien qu'au moment où l'âme se dégage du corps physique par la mort. C'est par ces principes essentiels que nous rechercherons le sens du rite de la Consolation des mourants. On sait que les croyants (qui n'étaient pas encore prêts à renoncer au monde), demandaient à recevoir la Consolation quand ils sentaient approcher la mort, ils convenaient même à l'avance avec les ministres cathares que la Consolation leur serait ainsi donnée. On adresse souvent à cette pratique le reproche que lui fait P. des Vaux de Cernay : les croyants auraient espéré se sauver sans restitution, sans confession ni pénitence, pourvu qu'à l'article de la mort ils puissent dire un « Pater Noster » et recevoir de leur Maître l'imposition des mains. Nous verrons pourquoi, dès le début du XIIIe siècle, certains croyants ont pu suivre ce rite d'une manière superficielle et superstitieuse : mais ce ne pouvaient être que des croyants vulgaires. Les cathares n'ont pas institué ce rite ainsi.

La Consolation n'était pas un sacrement qui agisse par lui-même, mais le signe de l'expérience de l'Esprit faite par l'initié après des abstinences et un effort sincère, décisif, de pureté. La Consolation des mourants donnée sur la promesse de bien faire à l'avenir, était un enseignement, un avertissement de l'expérience de l'esprit par laquelle l'âme allait passer après la mort.

Les cathares n'aspiraient pas à un ciel contemplatif comme celui des catholiques à qui on ne parlait plus de vies successives, ni à un nirvana comme celui des bouddhistes qui désiraient, échapper le plus vite possible aux réincarnations. Remarquons cette indication donnée sur le danger d'une envolée trop rapide vers le ciel et la nécessité d'une vie terrestre chrétienne pour le salut « depuis que le Fils de Dieu est venu en ce monde et a souffert la mort pour sauver les brebis et le peuple d'Israël, Lucifer est monté au ciel pour y tromper les hommes... ». Le croyant devait donc réparer ses fautes dans une nouvelle vie terrestre s'il n'entrait pas dans le groupe des élus par une pureté qui préparait à une activité d'un nouveau genre.

La preuve précise que la Consolation des mourants n'était qu'un signe provisoire, c'est qu'elle n'était pas tenue pour définitive, au cas où le Consolé recouvrait la santé, et le malade n'était naturellement pas soumis au rituel des initiés. Le rituel se termine en effet par ces mots : « Si le malade survit, les chrétiens doivent le présenter à l'Ordre et prier qu'il se console de nouveau le plus tôt qu'il pourra et qu'il en fasse sa volonté ». Ainsi le malade qui ,avait seulement promis de suivre les abstinences et les, coutumes de l'Eglise cathare avant de recevoir le Consolament, était libre, après sa guérison, de le recevoir ou non et il devait évidemment, dans l'affirmative, passer par une purification préalable. Ceci démontre que la « Consolation » reçue par un malade n'avait pas d'efficacité absolue à elle seule. Au cas de mort, l'âme du croyant n'évitait pas la réincarnation. C'est bien là, selon nous, la vraie doctrine cathare telle qu'elle a été suivie pendant des siècles.
La rémission des péchés ne pouvait pas être prise à la lettre d'une manière sacramentelle et aller sans réparations réelles. Nous ne pensons pas qu'il y ait eu un vrai manichéisme, ni un vrai catharisme sans la compréhension exacte du but des vies successives. Il fallait en somme arriver au salut par un véritable état de pureté chrétienne au cours d'une existence terrestre et pratiquer réellement des abstinences qui n'étaient pas imposées aux malades. Cet état seul amenait à l'initiation. D'ailleurs le sens primitif et exact de l'imposition des mains se trouve d'abord dans « Pistis-Sophia », ouvrage gnostique copte du début du IIIe siècle après J.-C., où sont déjà décrits les trois types d'imposition des mains, comme les trois mystères ou rites supérieurs, dans le passage suivant, que nous traduisons de C. Schmidt :

« Le premier mystère fait passer l'âme à travers les lieux des Archontes et la fait entrer dans le lieu de son royaume. C'est l'initiation au cours de l'existence, la réception d'un élu. 

« Le second mystère... lorsque tu l'accomplis à propos dans toutes ses formes, lorsque l'homme qui accomplit ce mystère le dit sur la tête d'un homme qui sort du corps et le dit en ses deux oreilles, et que ce même homme qui sort de son corps, a reçu des mystères pour la deuxième fois et participe à la parole de la vérité, — je te le dis en vérité : Quand cet homme sort du corps de la matière, son âme devient un grand jet de lumière et elle traverse tous les Lieux jusqu'à ce qu'elle arrive au royaume de ce Mystère. « Mais si cet homme n'a reçu aucun mystère et ne participe pas à la parole de la vérité, quand celui qui accomplit ce mystère le dit sur la tête de cet homme qui sort de son corps, qui n'a reçu aucun mystère de la lumière et qui n'a point part aux paroles de la vérité, — je te le dis en vérité : Cet homme lorsqu'il sort de son corps, ne sera jugé dans aucun Lieu des Archontes, il ne pourra être châtié dans aucun Lieu et le feu ne le touchera pas à cause du grand Mystère de l'Ineffable qui est avec lui. Et on s'empressera en toute hâte de se le confier l'un à l'autre, de l'accompagner de Lieu en Lieu, de cohorte en cohorte, jusqu'à ce qu'on l'amène devant la Vierge de Lumière, tandis que tous les Lieux sont remplis de crainte devant le Mystère et le signe du royaume de l'Ineffable qui est avec lui. Et lorsqu'on l'amène devant la Vierge de Lumière, la Vierge de Lumière verra le signe du royaume de l'Ineffable, qui est avec lui, la Vierge de Lumière s'étonnera et elle l'éprouvera, mais elle ne le fera pas conduire à la Lumière jusqu'à ce qu'il ait acquis toutes les habitudes de la lumière de ce mystère, c'est-à-dire accompli les purifications de la renonciation au monde et à toute la matière qui se trouve en lui. La Vierge de Lumière le scelle du sceau supérieur qui est celui-ci : (Ici devait se trouver l'image du sceau) et elle le fait jeter, dans tout moi où il est sorti du corps de la matière, dans un corps qui deviendra juste et qui trouvera la vraie divinité et les mystères supérieurs afin qu'il les reçoive en héritage et qu'il hérite de la Lumière éternelle qui est le don du deuxième mystère du premier mystère de l'Ineffable ».

Le troisième mystère est celui du ministre qui accomplit le mystère sur la tête d'un homme pour qu'il hérite du royaume de la Lumière, il implique donc la consécration de ce ministre.

Ainsi dans le deuxième type du Mystère qui est bien l'imposition des mains sur la tête du mourant, nous trouvons deux cas :

1°) Quand le mourant avait été antérieurement initié, il allait après sa mort dans le royaume de lumière ;
2°) Quand le mourant ne s'était pas purifié, n'avait pas antérieurement renoncé au monde et n'avait pas déjà reçu l'imposition des mains, il devait se réincarner, mais cependant dans un corps juste pour qu'il put trouver la voie du salut. De ces deux cas d'imposition des mains aux mourants, les cathares n'ont donc considéré que le second et délaissé le premier sans doute comme surabondant. Nous pouvons nous référer ensuite aux « Chapitres » de Manès ou de ses disciples immédiats ainsi qu'au rituel du Consolament cathare :

L'IMPOSITION DES MAINS, LE CONSOLAMENT


(Extrait des Chapitres de Manès. Chapitre VII sur les 5 Pères).

La Forme de Lumière que les élus et les catéchumènes reçoivent quand ils renoncent au monde... C'est cette Forme de Lumière qui se révèle à tout homme qui sort de son corps vers l'image, vers la figure de l'Apôtre (c'est-à-dire du Maître) en même temps que vers les trois grands anges splendides qui viennent avec elle, l'un tenant le sceptre dans sa main, le second portant le vêtement de lumière, le troisième tenant le diadème, la guirlande et la couronne de lumière.
Ce sont les trois anges de Lumière qui viennent avec cette Forme de Lumière et qui se manifestent avec elle aux élus et aux catéchumènes.

Chapitre IX : sur l'explication du salut de paix, de la main droite, du baiser, de la vénération de l'imposition des mains. Ces cinq mystères, ces cinq signes sont d'abord nés dans la Divinité, ils ont été (ensuite) annoncés dans le monde par un apôtre... L'Esprit (Noûs) de Lumière qui vient dans le monde, vient de ces diverses manières. Avec ces cinq signes il choisit son Eglise... D'abord il donne le salut de paix aux hommes. Quand un homme reçoit le salut de paix et devient un fils de la paix, il est choisi comme croyant. Quand il reçoit le salut de paix, il prend la main droite (qui lui est tendue) et se range parmi les justes. (Alors) l'Esprit de Lumière reçoit le baiser d'amour (agape), et il devient Fils de l'Eglise... il est vénéré et vénère le Dieu de Vérité ainsi que la sainte Eglise... (Enfin) comme conclusion de tout cela, la main droite de la grâce est mise sur lui et il reçoit l'imposition des mains, il est ordonné, bâti en vérité et fortifié en elle pour l'Eternité. Il va vers l'Esprit de Lumière par ces bons signes, il devient un homme accompli (téléios), il vénère le Dieu de Vérité et le glorifie. De même, au moment de la mort (de l'homme), quand la Forme de Lumière surgit devant lui et l'amène des ténèbres à la lumière... La Forme de Lumière le console par le baiser et par un calme courage devant les démons qui détruisent le corps. A sa vue, à son aspect, se rassure le coeur de l'Elu qui abandonne son corps. Alors l'Ange qui porte le sceptre lui tend la main droite, le retire de l'abîme de son corps et l'accueille avec le baiser d'amour. Chaque âme vénère sa salvatrice qui est cette Forme de Lumière.

CONSOLAMENT 


(Extrait du rituel cathare traduit par L. Cledat).

Si un croyant est en abstinence, et si les chrétiens sont d'accord pour lui livrer l'oraison, qu'ils se lavent les mains, et les croyants, s'il y en a, également. Et puis que l'un des bonshommes, celui qui est après l'ancien, fasse trois révérences à l'ancien, et puis qu'il prépare une table, et puis trois autres (révérences) et qu'il mette une nappe sur la table, et puis trois autres (révérences), et qu'il mette 'le livre sur la nappe.
Et puis qu'il dise : Benedicite ârcite nobis (bénissez-nous, ayez pitié de nous). Et puis que le croyant fasse son melhoirer et prenne le livre de la main de l'ancien. Et l'ancien doit l'admonester et le prêcher avec témoignages convenables... (Suit une allocution sur l'homme et l'Eglise, temple du Père, du Christ et de l'Esprit de vérité, faite surtout de citations des Evangiles et des Epîtres de Paul).

Et puis que l'ancien dise l'oraison et que le croyant la suive. Et puis que l'ancien dise :
« Nous vous livrons cette oraison pour que vous la receviez de Dieu, et de nous et de l'Eglise, et que vous ayez pouvoir de la lire tout le temps de votre vie, de jour et de nuit, seul et en compagnie, et que jamais vous ne mangiez ni ne buviez, sans dire premièrement cette oraison. Et si vous y manquiez il faudrait que vous en fassiez pénitence ». Et il doit dire : «Je la reçois de Dieu et de vous et de l'Eglise ». Et puis qu'il fasse son melhoirer et qu'il rende grâces... Et s'il doit être consolé sur le champ qu'il fasse son melhoirer et qu'il prenne le livre de la main de l'ancien, Et l'ancien doit l'admonester et le prêcher avec témoignages convenables et avec telles paroles qui conviennent à un consolament. Et qu'il dise ainsi : vous voulez recevoir le baptême spirituel par lequel est donné le Saint-Esprit dans l'Eglise de Dieu, avec la sainte oraison, avec l'imposition des mains des bonshommes... (suivent les citations des Evangiles et des Actes des apôtres).

Ce saint baptême par l'imposition des mains a été institué par Jésus-Christ, selon ce que rapporte St Luc et il dit que ses amis le feraient, comme le rapporte St Marc (XVI, 18)... Et Ananias (actes IX, 17 et 18) fit ce baptême à St Paul quand i! fut converti. Et ensuite Paul et Barnabé le firent en beaucoup de lieux, Et St Pierre et St Jean le firent sur les samaritains. Car St Luc le dit ainsi dans les Actes des apôtres (VIII, 14-17) : Ce saint baptême par lequel le Saint-Esprit est donné, l'Eglise de Dieu l'a gardé depuis les apôtres jusqu'à maintenant, et il est venu de bonshommes en bonshommes jusqu'ici, et elle le fera jusqu'à .1a fin du monde. Et vous devez entendre que pouvoir est donné à l'Eglise de Dieu de lier et de délier et de pardonner les péchés et de !es retenir comme Christ le dit dans .I'Evangile, de St Jean » (XX, 21, 23). (Après cette allocution composée de citations des Evangiles sur !e pouvoir de guérison et de salut, sur les conciliions de pureté et de charité de ce pouvoir et sur l'obligation de tenir les commandements de Dieu, le rituel continue « et si vous le faites bien jusqu'à la fin, nous avons l'espérance que votre âme aura la vie éternelle »). Et qu'il dise : « J'ai cette volonté, priez Dieu pour moi qu'il m'en conne sa force ». Et puis que l'un des « bonshommes » fasse son melhoirer avec le croyant, à l'ancien, et qu'il dise :

« Parcite nobis. Bons chrétiens, nous vous prions par l'amour de Dieu que vous accordiez de ce bien nue Dieu vous a donné à notre ami ici présent », et puis que le croyant fasse son melhoirer, et qu'il dise : « Parcite nabis. Pardonnez les péchés que j'ai pu faire ou dire ou penser ou opérer, je demande pardon à Dieu et à l'Eglise et à vous tous ». Et que les chrétiens ...disent : « Par Dieu et par nous et par l'Eglise qu'ils vous soient pardon, et nous prions Dieu qu'il vous les pardonne ».
Et puis ils doivent le consoler. Et que l'ancien prenne le livre et le lui mette sur la tête, et autres « bonshommes chacun la main droite. Ensuite ils disent des prières désignées par les termes de gratia, de parcias et d'adoremus : appel à la grâce du Christ, et au pardon des fautes par le Père, le Fils et le Saint Esprit, trois adorations du Père, du Fils et de l'Esprit et puis l'ancien dit en latin) :
« Père saint, reçois ton serviteur dans ta justice et mets ta grâce et ton Esprit-Saint sur lui » et si c'est une femme : ... Reçois ta servante... etc... ». (Enfin après l'oraison, l'Evangile et les mêmes prières) « ils doivent faire la paix (s'embrasser) entre eux et avec le livre. Et s'il y a des croyants, qu'ils fassent la paix aussi, et que les croyantes, s'il y en a, fassent la paix avec le livre et entre elles... On trouve dans les Chapitres de Manès, avant l'imposition des mains, les signes préliminaires qui reparaissent à l'occasion de la Consolation des cathares; le salut de paix ou appel, .la remise de la règle aux croyants, ou transmission de la doctrine, le baiser de fraternité, la vénération des élus.

Les trois phases de la purification ou de la transformation des corps, ainsi que de la terre elle-même étaient signifiées par les trois sceaux que nous avons retrouvés chez les cathares par un commentaire de la « Cène Secrète », dans l'imposition des mains, la fraction du pain, et la remise du vêtement. Pour cette réalisation, l'aide du Christ était nécessaire et les élus devaient pouvoir se réincarner pour remplir leur mission.



L'ADAM CÉLESTE ET L'HOMME JÉSUS


Les historiens admettent généralement de nos jours ce que nous soutenons : les cathares voulaient avoir une gnose, c'est-à-dire une connaissance directe des entités spirituelles autant que des réalités physiques. Leurs doctrines étaient des enseignements sans dogmes imposés, en Occitanie, puisque au cas de divergence sous quelque point, les cathares devaient voir eux-mêmes selon le conseil donné par « l'Ascension d'lsaïe ».

Cet enseignement n'étant pas figé en formules il pouvait varier quelque peu sans aucun inconvénient, puisqu'il s'agissait de la préparation à une connaissance directe. Ceci a toujours déconcerté les « Orthodoxes » obsédés par la lettre et pourtant les Origénistes connaissaient l'homme spirituel qui, selon Origène, possède « une sensibilité divine », c'est-à-dire des sens spirituels, vue, ouïe, etc., qui lui font voir les réalités supra-sensibles. Manès enseignait à ses disciples que les sens du corps matériel sont obturés par des forces ténébreuses et qu'il faut les ouvrir comme des portes grâce à une prise de conscience de l'Esprit et à son action à l'intérieur de l'organisme pour qu'ils reçoivent l'afflux de la lumière spirituelle. Pour relever avec le plus d'exactitude possible ce que les cathares de l'Occitanie pensaient sur Dieu, l'Homme et le Monde, ainsi que pour retrouver le sens des rites, nous pouvons prendre utilement le « Traité anonyme du XIlle siècle » reproduit par Huesca dans son ouvrage, le « Contra Manicheos ».
Nous n'acceptons pas la manière dont il expose les diverses opinions qu'il attribue dans son pamphlet aux cathares. Car il n'a pas reproduit les commentaires cathares, ce qui lui a laissé tout loisir pour les réfuter. Cependant les références de ce Traité, dont nous donnons la traduction en l'appendice I sont si précises que A. Dondaine a écrit de l'auteur : « C'était assurément un adversaire redoutable et n'était l'interprétation traditionnelle du texte sacré par le magistère chrétien et le Père, le controversiste catholique aurait eu fort à faire pour remporter la victoire en dispute publique ».
La première déclaration catégorique du Traité est celle de la croyance en « un Dieu souverain et vrai, le Père tout puissant ». C'est lui qui « a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve selon le témoignage des prophètes et que le démontre plus parfaitement le Nouveau Testament ». Mais aussitôt le présent monde où nous sommes est désigné comme illusoire et corruptible donc mauvais; de sorte qu'il faut se tourner vers la Terre nouvelle des « créatures incorruptibles et éternelles ».

Comment concevoir Dieu à l'égard de ces deux mondes, ce siècle-ci qui se détruit et le siècle à venir ? Nous le saurons en prenant pour base, bien qu'avec précaution, les opinions que le vaudois Huesca découvrait chez les cathares du Languedoc qu'il connaissait directement et qui sont indiquées dans l'ouvrage le Liber Antis heresis qui lui est attribué et aussi dans les recueils des dépositions reçues par les inquisiteurs. Nous devons voir d'abord que les notions qui venaient des bulgares et des albanais étaient mêlées comme dans l'Ecole de Slavonie. Si nous remontons aux origines, nous notons selon Ermengaud que les cathares d'Occitanie connaissaient la distinction de Satan au Christ, relatée par la Cène secrète des bogomiles; ce qui suppose un Dieu Père unique précédent aussi le fait que Satan organise le premier sa création des corps. Nous retrouvons ce thème de la Cène secrète dans des dépositions reçues par des inquisiteurs, ainsi qu'après la révolte mythique de Satan, son ascension dans le ciel où il va séduire les âmes et le combat qui s'ensuivit. Satan est pris dans cette opération de séduction pour Lucifer dont l'action est décrite par la prière cathare que voici :

« Père saint, Dieu juste des bons esprits, qui jamais ne trompas niinenlis, i crias ni doutas par peur de subir la mort dans le monde du dieu (étranger, car nous ne sommes pas du monde ni le monde n'est de nous, et donne-nous à connaître ce que tu connais et à aimer ce que tu aimes.
Pharisiens trompeurs, qui êtes à la porte du royaume et empêchez ceux qui voudraient y entrer et vous autres ne voulez pas ; c'est pourquoi je prie le Père saint des bons esprits qui a pouvoir de sauver les âmes, et pour les bons esprits fait germer et fleurir et à raison des bons donne vie aux mauvais et il le fera jusqu'à ce qu'ils aillent au bout des bons et quand il n'y en aura plus de ses petits ceux qui sont des sept royaumes qui descendirent du paradis lorsque Lucifer les en tira sous le faux semblant que Dieu ne leur promet que le bien, et parce que le diable, tel quel, était très faux et leur promettait mal et bien. Et il leur dit qu'il leur donnerait certes des femmes qu'ils aimeraient beaucoup et leur donnerait seigneurie des uns sur les autres, et qu'il y en auraient qui seraient rois et comtes et empereurs et qu'avec un oiseau ils en prendraient un autre et avec une bête une autre. Tous ceux qui lui seraient soumis et qui descendraient auraient le pouvoir de faire le mal et le bien comme Dieu en haut, et qu'il leur vaudrait beaucoup mieux être des dieux qui pourraient faire le bien et le mal qu'en haut où Dieu ne leur permettrait que le bien, et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre et autant y montèrent autant tombèrent et au dehors ils furent condamnés.
Et Dieu descendit du ciel avec XII apôtres et s'adombra en Sainte Marie »


Nous expliquons pourquoi la création bonne est venue après la première, après celle d'une matière primordiale chaotique... C'est que précisément l'organisation de ce chaos s'est faite selon les lois de la Raison universelle, du Logos. Il ne s'agit certainement pas de deux Dieux, mais de deux principes comme l'écrivait Sacconi Principes oui sont manifestés ensuite par Satan, et par le Christ.
Certes, les partisans « orthodoxes » d'un monothéisme abstrait craignent toujours que l'Unité suprême soit diminuée par des émanations qui lui sont pourtant toujours subordonnées et surtout par la constatation de l'action positive des deux principes du bien et du mal que Plotin lui-même, le philosophe de l'Unité divine, a nettement affirmé. Dès lors les mythes qui décrivent cette action ne sont pas compris. On réserve la désignation de Principe au Dieu suprême et on considère par erreur qu'on ne peut appliquer ce terme qu'à Lui.  Mais les cathares qui pensaient comme tous les anciens d'une manière concrète se représentaient, quelle que fût leur Ecole, ces deux principes par les deux grands êtres qui étaient des facteurs ou créateurs, c'est-à-dire des organisateurs d'une matière préexistante.

Dans le Midi des cathares disaient, comme les bogomiles et la Cène secrète de l'Ecole de Bulgarie, que Dieu a deux fils : le Christ et le diable. L'entente des cathares était complète et précise sur ce dualisme radical qui, cependant, n'est pas absolu, n'est pas métaphysique, mais moral et cosmique et relatif par le fait même qu'il s'exprime dans le monde manifesté. Il est vrai qu'en suivant le vocabulaire de l'Ancien et du Nouveau Testament, les cathares usaient couramment de ce terme de Dieux, mais if est nettement erroné de leur attribuer la croyance en deux dieux égaux malgré leur incessante dénégation analogue à celle de Fauste de Milève à Augustin en affirmant qu'il croyait à un seul Dieu et à la matière et que l'un des derniers ministres cathares, Bélibaste, renouvelait en affirmant que « le dieu étranger se disait dieu, et cependant ne l'était pas, car ce dieu étranger ne faisait que du mal ».




Comment les cathares distinguaient-ils Dieu du Diable ?

Quel est ce présent monde dont le « Traité anonyme du XIlle siècle » nous dit avec des citations précises des Ecritures qu'il est mauvais et « tout entier sous l'empire du malin » ?
Le monde actuel n'est pas celui du Christ, ni des siens, qui sera dans la Jérusalem céleste, dans de nouveaux cieux et une nouvelle terre éternelle (selon Jean V, II; III, VIII et XIX, XX; VIII, XXXIV). Les oeuvres mauvaises de ce monde-ci sont du diable qui est synonyme de péché et qui pèche dès le commencement. Mais ses oeuvres passeront comme en témoigne le Christ (Matth. XXIV, XXXV). Dans ce monde tout est vanité. Et pourtant il est affirmé (chapitre XII) que « toutes choses sont doubles ». Quelle est donc cette dualité, à quoi l'essentiel du monde, c'est-à-dire l'ordre cosmique, est-il mêlé et qu'est-ce que le diable ? Le chapitre XIII nous dit que « ce qui est dans le monde et tiré du monde est néant ».

Mais qu'est-ce que ce néant ?

Allons-nous nous arrêter à l'indication superficielle du péché des idoles qui rappellent l'exégèse d'Origène ? Non ! car aussitôt toutes les nations sont considérées comme néant. Or, les nations sont des réalités. La Bible, d'ailleurs, dit bien que les dieux des nations sont des démons. Aux yeux du psalmiste le méchant apparaît comme néant, mais le méchant est un être. «-Si tous les esprits du mal, si tous les hommes mauvais, si tout ce qui peut se voir dans ce monde ne sont rien, faute de charité, c'est donc qu'elles ont été faites sans Dieu, c'est que Dieu ne les a pas faîtes, car c'est sans lui qu'a été fait le néant, selon le témoignage de l'Apôtre : « Si je n'ai pas fait la charité, je ne suis rien ».

Or le chapitre XVI démontre que les méchants rois et leurs peuples sont descendus dans l'enfer et ont été ensevelis au plus profond de l'abîme. Donc, ils sont en réalité encore après leur mort jusqu'à la dissolution, l'embrasement final du monde.

Ce néant est donc quelque chose, mais quoi donc ?

Nous allons le savoir par l'analyse précise du prologue de l'Evangile de Jean (, 3) traduit ainsi par les cathares en langue occitane : « Totas causas so faitas per lui et senes lui es fait nient » (Toutes choses sont faites par lui et sans lui est fait le néant). Pierre Autier citait ainsi le paragraphe de Jean.
Augustin, tout en maintenant la graphie des manichéens : sans lui a été fait le néant, considérait ce néant et le mal comme une simple privation.
Mais il attestait que, selon les manichéens, ce néant était « le chaos qui existait avant l'action organisatrice du cosmos par Dieu et les entités divines qui l'ont pénétré et s'y sont mêlées ». Les cathares aussi ont considéré ce néant comme la matière primordiale qui était à l'état de chaos. Le critique Huesca l'écrivait : « Certains entendent par nihil une substance corporelle, incorporelle et toutes les créatures visibles tels sont les manichéens et les modernes cathares des diocèses d'Albi, Toulouse, Carcassonne ».

 Nous remarquons cependant que Nihil, le chaos, n'est pas corporel, un corps étant une substance organisée. De plus, les créatures visibles sont dans le monde du mélange et non pas dans le chaos primitif. Dans ce monde-ci le chaos est organisé, le résidu chaotique est toujours latent et se manifeste. On ne peut pas admettre non plus que, pour les cathares, le monde actuel soit antérieur à l'action organisatrice du Logos. Il résulte précisément de cette action; c'est le chaos qui préexiste et non l'univers visible selon la Kabbale, la Gnose juive, qui s'est constituée en Languedoc, précisément au Xlle et au Xllle siècles.

L'essentiel de la matière préexistante ce sont les forces actives qui l'accompagnent. Elles agissent d'une manière anarchique, désordonnée, et elles constituent l'âme de cette matière, c'est-à-dire le diable. Cette âme active a plus que l'apparence de la réalité. Son activité est décrite dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament et désignée des noms de diable et de Satan. Ces forces n'ont pu être considérées comme mauvaises qu'ultérieurement après l'organisation du monde par l'esprit divin (le Noûs, le Logos).

 C'est après cette création du monde que s'est manifestée l'opposition d'une partie des forces chaotiques indomptées.

Les cathares étaient donc bien monistes car ils ne croyaient qu'à un seul vrai Dieu. Ils l'étaient d'autant plus qu'ils soutenaient, comme le démontre le « Traité anonyme » que l'action diabolique qui se manifeste depuis le commencement dans le monde où nous sommes, aurait une fin, tout devant se dissoudre selon le chapitre XVII du Traité anonyme. En pensant ainsi, les cathares suivaient les gnostiques chrétiens et les manichéens, c'est même un point essentiel de toutes les formes du christianisme qui les distingue de la conception païenne de l'éternité du monde actuel, et c'est une preuve catégorique qu'il n'y avait pas, chez les cathares, de dualisme absolu.

Recherchons chez les précurseurs des cathares quelle conception ils avaient de la trinité divine.

Origène voyait, dans le Père, l'unité absolue à laquelle il subordonnait le Fils, son image qui est multiple, parce que « sa lumière luit dans les ténèbres, est attaquée par elles ». Il a même dit, dans son homélie sur Isaïe, que le Christ et l'Esprit sont les deux Séraphins d'Isaïe. Nous pouvons rapprocher de ceci la théologie plus précise de Manès : le Dieu unique restant dans son royaume de lumière a envoyé l'Homme universel vers les ténèbres où il a été dépouillé de ses armes qui sont les âmes humaines. Vers elles descend alors l'Esprit qui leur tend la main pour les aider à émerger de la matière. Voilà les traits essentiels qu'on peut dégager des trois triades manichéennes, telles que les expose Faute de Milève dans ses Capitula.

Une sorte de Trinité démoniaque s'est formée en opposition à la trinité divine. On la désigne par les termes de principe du mal, de Satan et de Lucifer qui est souvent pris comme fils de Satan. On trouve aussi, à côté des sept royaumes des anges de l'ascension d'Isaïe, les sept royaumes des démons.

Pourtant, ce qui est surtout intéressant, c'est de suivre chez les cathares la notion de l'Homme universel des manichéens. Nous saisissons la pensée cathare à l'occasion de la formation de l'Adam terrestre : Quand Lucifer et Satan veulent former un homme, ils descendent dans le chaos, ils forment son corps du limon de la terre, mais ne pouvant constituer un homme complet ils demandent à Dieu d'envoyer un ange, qui est Adam, une âme vivante. Ce mythe prend d'autres formes dont la signification est la même : un ange envoyé par Dieu pour observer cette création de l'homme terrestre est saisi et enfermé par Lucifer et Satan dans un corps matériel ou bien, l'ange est séduit et saisi par Lucifer. De toutes façons cet ange est l'esprit d'Adam (Spiritus Adoe)...
L'incarnation de l'homme sur la terre est décrite d'une manière mythique, car tout l'Esprit Adam ne s'incarne pas en réalité dans un seul corps terrestre. En effet, il émane de cet Esprit des âmes qui sont asexuées dont il est dit (dans la Cène secrète) qu'elles sont séduites dans le ciel par Lucifer. C'est-à-dire entraînées vers la séparation des sexes, qui se réalise quand elles sont enfermées par Satan dans des « tuniques de peau », dans des corps terrestres. Au sujet de l'Esprit d'Adam qui était un ange céleste androgyne, un ange de lumière, l'éditeur de Moneta, Ricchini donne « des références au manichéisme et au valentianisme ».


En effet, selon les Kephalaia des manichéens, le Premier Homme est désigné comme Adam, supérieur à toutes les autres créatures, car il a l'Esprit (Noûs) en lui. Cet Homme universel est envoyé par le Père des lumières vers les ténèbres pour résister à leur assaut. Au cours du combat, il perd ses armes qui sont les âmes humaines. De même pour les cathares après l'intrusion de Lucifer, selon la Cène secrète, Michel combat et chasse les rebelles du ciel. De même que le premier Homme, l'esprit d'Adam, est sauvé mais les âmes humaines qui en procèdent sont retenues prisonnières dans des corps matériels. Retenons, avec le professeur Scholem que, selon les Kabbalistes juifs du Moyen Age « ce Dieu qui se dévoile dans le monde des Sefiroths, représente justement l'homme dans sa forme la plus pure, Adam Kadmon, l'homme originel. Le Dieu, qui peut être visé par l'homme, se présente justement comme Homme originel. Le grand nom de Dieu, dans son développement créateur est justement Adam, comme les Kabbalistes le disent ». Il est nettement établi que, selon les cathares, les âmes humaines se sont éloignées de l'Esprit dont elles ont procédé en descendant en ce monde et que cet Esprit collectif est l'Adam céleste.

Quel est, dans cette situation, l'état des âmes et quelle est leur destinée ?

 L' Homme universel ayant en lui l'Esprit divin, le Noûs, les âmes qui en sont émanées sont en leur essence intégrées dans la divinité par leur Esprit; mais elles sont éloignées de lui et des corps spirituels dont elles étaient revêtues, Cependant, de nombreux témoignages attestent la croyance des cathares aux réincarnations des âmes qui sont les anges descendus sur la terre. Ils le pensaient comme les gnostiques et les manichéens et le professeur Scholem suppose même que cette doctrine est passée des cathares du Languedoc aux Kabbalistes juifs. Les réincarnations ont pour but d'amener les âmes à « faire pénitence ». Elles vont de corps en corps jusqu'à ce qu'elles arrivent aux mains des bonshommes. « Elles doivent accomplir la justice » et quand elles l'ont fait, elles sont purifiées. Elles peuvent alors recevoir la consolation et reprendre conscience de leur Esprit et retrouver les vêtements spirituels perdus, dans ce Paradis terrestre provisoire où elles attendront la résurrection et leur entrée dans le Paradis céleste qui sera la Terre nouvelle entourée de nouveaux cieux. Ici, nous voyons exprimée sommairement la pensée d'Origène selon qui les saints qui sont dans la voie de la perfection ont repris leur corps éthéré et continuent à monter de degrés en degrés jusqu'au jour du jugement et de la résurrection finale.

Nous avons vu que, selon la Pistis Sophia, l'initiation à l'Esprit est la vraie consolation, et qu'elle doit être acquise au cours de l'existence. Sans quoi la réincarnation de l'âme est nécessaire, mais dans ce cas elle a lieu dans un « corps juste », c'est-à-dire avec une destinée qui permet de suivre la bonne voie. De même chez les cathares la consolation des mourants ayant un caractère provisoire, leurs ministres les avertissaient de ne pas se croire sauvés par cette cérémonie sans avoir vécu en chrétiens. Bien plus, leurs ministres assuraient qu'à défaut de leur présence, le croyant qui aurait vécu honnêtement en bon chrétien serait reçu par un ange à l'heure de la mort. On trouve de nombreuses dépositions qui attestent que la réincarnation des âmes humaines s'effectue dans des corps humains. Mais une curieuse controverse s'éleva quand un ministre cathare déclara qu'on ne pouvait gagner le Paradis que si l'on était un homme. Cependant, il expliquait que les âmes des femmes sont égales à celles des hommes, que seuls les corps physiques sont différents et qu'à la mort elles entrent dans des corps masculins. Ensuite reçues par de « bons hommes » elles sont converties en hommes mâles et introduites dans la gloire du Paradis. Nous voyons là, avec le professeur Puech, de la Sorbonne, un souvenir gnostique de l'Evangile de Thomas : Jésus répondait à ses disciples au sujet de sa mère : « Toute femme qui sera faite homme entrera dans le royaume des cieux ».

On peut lire aussi des dépositions de témoins sur des réincarnations dans des corps d'animaux, souvent sans indication précise des circonstances, mais le récit de quelques-unes en montre le caractère mythique. Il en est ainsi du mythe du cheval : « l'âme d'un certain homme, sortie de son corps, s'introduisit dans un corps de cheval et fut le cheval d'un certain maître pendant quelque temps ». Comme une nuit son maître poursuivait un ennemi, le cheval galopa sur roches et pierres et y laissa le fer d'une patte. Après sa mort, l'âme du cheval entra dans le corps humain d'un « bon chrétien ». Comme un jour ce même bon chrétien passait avec un compagnon à l'endroit même où il avait perdu un fer, ils le recherchèrent et le découvrirent entre deux pierres. « Cet exemple raconté, les susdits rirent entre eux ». Et ils dirent beaucoup de choses dont le témoin ne se souvient pas. Platon, lui, devait sourire quand il écrivait, dans un de ses dialogues, qu'Ajax s'était réincarné comme lion et Orphée comme cygne, pour indiquer qu'on renaît avec 'le courage ou le pur génie musical qu'on avait dans une vie antérieure. Même si les cathares ne se souvenaient pas directement de Platon, alors cependant que Limousis Nègre se référait à Pythagore en aspirant à une philosophie et une science cathares, ils avaient la tradition des Origénistes platoniciens. Précisément, Grégoire de Nysse représentait les passions « comme vie animale et figurées par diverses bêtes... Les chevaux figuraient ainsi la passion effrénée ». Cet aspect des passions de l'âme et de la « métamorphose » mythique de l'homme en bête était aussi dans le dialogue de Platon sur la République. Nous pouvons donc comprendre ainsi le sens du mythe du cheval : Un cathare a été maîtrisé dans une vie antérieure par une entité qui l'a poussé dans sa passion guerrière effrénée. Il se souvient de cet événement au point de pouvoir retrouver les lieux où il s'est déroulé. L'immortalité des âmes et le retour dans le Paradis terrestre provisoire étant une doctrine certaine des cathares, Huesca combat en vain un prétendu « traducianisme » qui ferait dériver des parents l'âme comme le corps de l'enfant. C'est ce grossier traducianisme qui a été imputé à Tertullien. En effet, dans son De Anima, il écrit au sujet de la substance du corps et de l'âme : « Bien plus nous disons que les deux en même temps sont conçus, faits et engendrés... ». Il est vraisemblable que Tertullien et les Pères de l'Eglise admettent l'immortalité de l'âme humaine. En tout cas cette opinion n'est pas cathare. On le croit par erreur quand on oublie que la formation de l'homme terrestre par l'ange unique est un mythe, puisque cet ange est le symbole de l'Adam céleste, esprit collectif qui comprend toutes les âmes descendues du ciel. L'indication de l'opinion cathare par Sacconi : « Toutes les âmes sont extraduce de cet ange-là » n'a pas le sens d'un traducianisme vulgaire, mais de l'origine de l'Adam céleste.

Au moment de la naissance, l'esprit, qui est éternel, vient de l'esprit et l'âme individuelle ressort de l'âme collective d'Adam où elle séjourne après la mort avant sa réincarnation individuelle. Moneta disait que, selon les cathares, le tiers des anges, c'est-à-dire des âmes humaines, a été séduit par Lucifer et qu'au moment de la naissance, la chair naissant de la chair par le coït, l'esprit était procréé de l'esprit. On lit, dans la Cène secrète : « L'Esprit naît de l'Esprit et la chair de la chair ».

Certes, nous lisons la déposition d'une femme qui déclare que l'âme étant dans le sang meurt avec lui, mais elle assurait qu'elle n'avait eu aucun rapport avec les cathares. M. Vasoli exposant la critique d'Alain de Lille a bien montré que cette opinion était celle d'un milieu scientifique du Midi de la France. D'ailleurs Schmidt écrivait déjà : « Il est vrai qu'Alanus, pp. 53 et suiv., et Moneta, pp. 416 et suiv., parlent d'hérétiques qui ont enseigné que l'âme périt avec le corps (quôd anima perit cum corpore). Non seulement cette doctrine est tout à fait contraire au système cathare, mais Alanus dit qu'elle n'est enseignée que par certains hérétiques (quidam hœretici), et Moneta est plus formel encore : « De cela cependant je n'accuse pas les cathares » (ln hoc autem non arguo Catharos).

Ainsi Moneta attestait que cette opinion de l'âme qui meurt avec le corps n'était pas celle des cathares. D'où vient donc cette opinion sinon de l'ignorance de la composition de l'âme humaine que connaissaient fort bien les gnostiques et les manichéens.

Ils distinguaient plusieurs états ou fonctions de l'âme : les forces de l'âme qui agissent dans le corps de chair, l'âme hylique comme "âme des animaux, les forces de l'âme psychique, l'âme humaine proprement dite et celle de l'âme pneumatique ou spirituelle, plus pénétrée de l'esprit.

Les ministres cathares conseillaient sans cesse à leurs croyants de trouver la voie du salut en se corrigeant de leurs défauts et à s'initier peu à peu à une vie vraiment chrétienne grâce à la pureté de leurs moeurs.

 Comment s'exerçait, selon eux, l'action du Verbe, du Logos dans l'homme ?

C'est d'abord par l'Esprit qu'ils distinguaient nettement de l'âme humaine. Il s'agissait pour eux de prendre conscience de cette présence, d'arriver au cours des existences à mériter d'entrer dans ce Paradis terrestre où se réalisait une résurrection complète. Si nous ne trouvons pas dans les écrits qui nous restent ou dans les dépositions faites à l'inquisition d'autre précision sur la Trinité divine que celle du Père suprême, d'Adam l'homme universel qui sera le nouvel Adam, le Christ et l'Esprit, nous avons cependant quelques dépositions sur la manifestation du Christ et de l'Esprit sur la terre à partir de la naissance de Jésus « Quand Dieu, le Père des bons esprits, dut venir vers la terre en la bienheureuse Marie, il se divisa en trois parties dont l'une était le Père qui resta dans le ciel et dont les deux autres étaient le Fils et l'Esprit saint qui descendirent sur la terre envoyés par le Père pour enlever au diable le pouvoir qu'il y avait. Ces deux parties de Dieu, le Fils et l'Esprit saint, se réuniront à la fin du monde à cette partie qui est le Père. Alors seulement il n'y aura qu'un seul Dieu et une seule personne, comme avant qu'ils descendissent sur terre le Fils et l'Esprit n'étaient qu'une personne et un seul Dieu. En cette dite descente furent faites trois personnes et un seul Dieu et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde ».
Nous trouvons une manière de voir analogue chez les bogomiles qui pensaient ceci : « Ils rapportaient au Père les trois appellations de Père, de Fils et d'Esprit, faisant d'abord de Dieu un seul personnage doué de trois noms et de trois aspects et attribuant à cet être un visage d'homme (le Père) qu'encadraient de chaque côté deux rayons émanés de ses yeux, le Fils à droite, l'Esprit à gauche. Le Père cessait momentanément de former une hypostase unique de 5500 à 5533 de l'ère mondiale, à l'occasion de la venue du Christ sur la terre : il engendrait le Fils, lequel engendrait à son tour l'Esprit, mais l'oeuvre de rédemption une fois accomplie, le Fils et l'Esprit se résorbaient à nouveau dans leur Principe, qui redevenait ainsi personne unique ». Nous allons voir que ce récit est déformé en ce qui concerne la manifestation du Christ qui n'a pas eu lieu en Marie et à la naissance de Jésus.


CHRISTOLOGIE CATHARE


L' Homme universel, l'Adam céleste étant la première manifestation dans le monde : la Raison universelle du Logos, du Verbe, c'est dans l'homme Jésus qu'il descend au cours du baptême du Jourdain. Alors Jésus devient « l'Oint du Seigneur », c'est-à-dire l'Esprit; l'Esprit de Dieu est descendu sur lui et en même temps une voix a dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé dans lequel j'ai mis toute mon affection » (Matthieu III. 16-17) c'est donc alors qu'il est consacré comme Fils de Dieu. Avant sa naissance, Jésus était dans le monde spirituel, son corps y était fait d'une substance pure telle qu'elle était pour toutes les âmes avant leur descente sur terre, leur « chute » selon le terme traditionnel. L'essentiel de la Christologie des grands gnostiques comme Valentin et Manès est dans la manifestation du Christ cosmique dans l'homme Jésus. Cette notion reparaît, étrangement déformée par l'ignorance de témoins vulgaires ou de polémistes adverses, dans l'idée transmise en secret des deux Christ dont l'un né à Bethléem, terrestre et visible, crucifié à Jérusalem, fut « mauvais » et eut Marie Magdeleine pour concubine, l'autre « le bon qui jamais ne mangea, ou ne but, et n'assuma une vraie chair, et ne fut jamais dans ce monde sinon spirituellement dans le corps de Paul ».

Les cathares « imaginaient qu'il y avait une autre terre nouvelle et invisible et que dans cette terre, selon certains, le bon Christ était né et avait été crucifié ». Nous retrouverons la doctrine traditionnelle en distinguant, sur cette importante question, l'enseignement populaire exotérique de l'enseignement ésotérique d'une gnose, d'une science spirituelle précise. Prendre les mythes à la lettre comme s'obstinent à le faire les polémistes adverses c'est ne rien y comprendre. En voici un autre : les cathares disaient que Jésus est entré en sa mère par l'oreille et qu'il en est ressorti de la même manière. Mais on trouve cette idée chez les anciens Pères de l'Eglise. On la rencontre dans un sermon de St Augustin : Dieu parlait par un ange, et la Vierge était imprégnée par les oreilles ». « Dans les Ecritures Saintes on trouve des allusions — toutes morales -- à une conception auriculaire. L'idée reparaît dans la poésie du Moyen Age : Concepit acre filium (Aunedius, Vle siècle) ; Quœ per aurem concepisti (St Bonaventure), etc. ».

L'annonciation de la naissance étant faite par l'ange Gabriel, la parole, le Verbe entrait par l'oreille de Marie. Il faut voir là le symbole de la manifestation de l'Esprit, Jésus descendant précisément du monde spirituel. Il était, comme sa mère, un « ange » tout d'abord, c'est-à-dire qu'il était en corps spirituel et plus précisément en un corps éthérique asexué avant sa naissance terrestre.

La Vision d'Isaïe nous est donnée en deux versions, l'une populaire, celle de Venise, l'autre ésotérique, celle d' Ethiopie. Les deux textes décrivent la descente du Fils de Dieu de ciel en ciel et sa prise successivement de « la forme des anges » de chaque ciel. Ces formes sont les vêtements, c'est-à-dire les corps appropriés à chaque état des cieux jusqu'au corps terrestre. Cette transformation ou transfiguration « à l'image des anges des cieux » aboutit à une entité semblable à un fils d'homme et habitant avec les hommes et dans le monde. Autrement dit, le Fils de Dieu prend un corps réel d'homme.

 On sait que selon !es gnostiques et les manichéens, l'âme descendant des cieux revêt des corps de plus en plus denses et qu'Origène lui-même connaissait le corps astral et le corps éthérique qu'elle revêtait avant le corps terrestre. Ces corps de forces s'interpénétrant d'ailleurs les uns les autres (car le vêtement est une image) sont des réalités. On voit qu'il n'y a pas là de docétisme, c'est-à-dire la croyance en de seules apparences. Cependant, selon la version de Venise, le Fils (de Dieu) descendant de ciel en ciel, en montrant aux gardiens le « caractère », le signe du leur, arrive au firmament où il donne encore le signe et parmi les anges de l'air à qui il ne le donne pas, parce qu'il est comme l'un d'entre eux. Nous lisons ensuite : « Et je le vis semblable à un fils d'homme et habiter avec les hommes et dans le monde ». On passe ici de l'air (X. 30-31) à la forme humaine (Xl. 1) comme pour rappeler la conception par l'oreille, symbole de l'action de l'Esprit. Pourtant il était déjà écrit (IX. 12 à 19 et X. 7 à 9) que les « anges » ne recevraient sièges et couronnes que lorsque le Fils (de Dieu) aura été dans la forme humaine crucifié, ressuscité et descendu jusqu'à l'ange qui est en enfer -- ce qui implique la réalité de sa naissance et de sa passion. Eugène Tisserand écrit qu'à In lecture du récit de la naissance de Jésus, dans la version éthiopienne, on pourrait croire au docétisme de l'auteur, néanmoins il lui paraît que ce récit « est seulement inspiré par le désir d'exprimer aussi catégoriquement que possible la naissance virginale ». Mais nous verrons que cette version est plus précise dans le sens d'un réel enfantement. C'est surtout la version de Venise qui exprime cette conception virginale dans le passage direct de Jésus de l'air au corps terrestre.

Nous trouvons là l'origine du récit populaire d'un ministre cathare Guilhem Bélibaste, dont a témoigné Arnaud Sicre devant l'Inquisition de Pamiers. 
Le Père saint, pour ramener à lui les hommes, décrivit dans un livre toutes les douleurs de la vie terrestre et le présenta aux esprits célestes qui étaient demeurés avec lui dans le ciel. (Notons que ces « esprits » sont des êtres humains qui ont une âme individuelle et un corps formé d'une substance restée pure, comme l'était celle d'Adam avant la « chute »). Le Père saint dit à ces esprits que celui qui voudrait supporter toutes ces douleurs serait son Fils. Mais ceux qui lisaient un peu de ce livre y renonçaient et tombaient en spasme en voyant ce que devait souffrir celui qui voudrait venir parmi les hommes pour honorer le genre humain. Aucun ne voulait quitter la lumière (gloria) qu'il avait et supporter les peines de cette vie, pour être Fils de Dieu. Alors un des Esprits qui s'appelait Jean (mis ici pour Jésus) se présenta et dit qu'il voulait être son fils. Il lut quatre ou cinq feuilles du livre et il tomba en spasmes pendant trois jours et trois nuits. Cependant Jésus (car la suite montre bien qu'il s'agit de lui bien que son nom soit omis), Jésus, revenu à lui, dit au Père qu'il voulait accomplir ce qu'il avait promis, pour être son Fils, c'est-à-dire tout ce qui était convenu dans le dit livre quelle qu'en fût la charge. Il descendit du ciel et apparut comme un enfant nouveau-né à Bethléem. Ce même témoin a déclaré « qu'il lui a semblé que le dit hérétique disait : La Bienheureuse Marie fut grosse, comme si elle eût été enceinte et ensuite le dit enfant parut à côté d'elle. Elle crut, comme sa grossesse avait cessé, qu'elle avait engendré le dit fils, alors qu'elle ne l'avait pas porté en son sein et ne l'avait pas enfanté. Ensuite, le dit enfant parut à Bethléem on entendit dire et beaucoup de gens racontèrent que le prophète, dont Isaïe avait prédit la venue, était arrivé » (Suit le récit de l'adoration de Jésus par les trois mages, son baptême, ses souffrances et son ascension vers le Père Saint après sa crucifixion).

Ces explications de la naissance, la vie et la mort de Jésus avaient surtout pour but de donner à la masse des croyants la notion de la naissance virginale de Jésus sans insister sur la naissance réelle ou sortie de Jésus du sein de Marie. Cette version populaire, exotérique, est la seule que Bélibaste ait dite à Sicre, car il n'avait pas confiance en lui.
Bélibaste lui répondit un jour, alors que celui-ci lui demandait des explications sur l'Eglise de Dieu : « Fais-toi bon homme, et je te le dirai ensuite ». Sicre, espion de l'inquisiteur Jacques Fournier, qui parvint d'ailleurs à tromper Bélibaste et à le faire arrêter, n'était pas instruit de la doctrine cathare ésotérique. Nous avons, en effet, une déposition de Jean Mauri de Montaillbu, qui a entendu Guilhem Bélibaste dire que : « L'Ange Gabriel vint vers Sainte Marie et lui dit que « Dieu viendrait en elle et s'adombrerait en elle-même et sauverait le monde... Le Fils de Dieu était spirituel... Ensuite il entra dans le corps de la bienheureuse Marie et y reçut chair et sang et le corps humain terrestre avec lequel il parut dans le monde ». Le terme d'adombration n'a rien de docétiste. Le texte cathare de Luc (1. 35) n'est pas exactement le même pour les cathares que celui de la Vulgate : « l'Esprit sanct venra en tu e la virtutz del Autisme azombrara en tu » — L'Esprit saint viendra en toi et la vertu (la puissance du Très-Haut adombrera en toi. La traduction de la Vulgate par le Maistre de Sacy, ainsi que les autres traductions courantes, nous donnent : « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ». C'est le sens d'une ombre divine protectrice. Cependant la Kabbale juive (particulièrement le Zohar) donne à l'ombre un autre sens. « L'homme a un revêtement spirituel (corps astral et corps éthérique) dont il est revêtu lors de sa naissance ». L'ombre est la projection de ce vêtement spirituel; elle sert d'intermédiaire entre l'âme et le corps matériel.
Dans la mystique soufie on considère l'ombre comme complémentaire de Dieu; « l'ombre lumineuse en tant que la couleur est ombre dans la lumière absolue ». J. Danielou confirme que, selon Clément d'Alexandrie, l'ombre du Christ est l'incarnation du Verbe. 
 « Le thème de l'ombre, comme exprimant le verbe incarné, se retrouve principalement au lVe siècle chez les auteurs inspirés d'Origène ». Thomas d'Aquin, dans son Exposé sur Luc, chapitre I, donne l'opinion de Grégoire de Nysse dans son « Sermon sur le jour natal du Christ ».

En effet, de même que nous remarquons une certaine puissance (vertu) vivifiante dans la matière corporelle par laquelle l'homme est formé de même dans la Vierge la puissance (vertu) du Très-Haut par l'Esprit vivifiant a assumé pareillement greffée au corps une matière de chair d'un corps virginal pour la formation d'un homme nouveau ».

 Selon le texte cathare, c'est le Très-Haut qui, par l'Esprit saint, entre dans l'ombre d'un corps terrestre et, en effet, c'est ainsi que les témoins de l'inquisition de Pamiers comprenaient l'adombration. De même Pierre Mauri, qui a suivi l'enseignement de Pierre Autier et de Guilhem Bélibaste, disait :  
« Le Fils de Dieu avait toujours au ciel un corps humain... il descendit du ciel avec ledit corps; il apporta avec lui ledit corps semblable à un corps d'enfant et il entra dans le sein de la bienheureuse Marie. Ce corps humain apporté du ciel ne fut pas formé puisqu'il l'était déjà, mais le corps qu'il avait apporté du ciel fut seulement nourri du sang de la bienheureuse Marie, tant que le Fils de Dieu se tint dans son ventre et ensuite il naquit. Ainsi il croyait que le Fils de Dieu était le Fils de Dieu le Père et de la bienheureuse Marie, bien que son corps humain ne fut pas formé dans le sein de la bienheureuse Marie, mais apporté du ciel ». Jésus puise ainsi dans le sang de sa mère les éléments qui vont former son vêtement matériel. Ceci montre tout d'abord que les cathares du Midi de la France avaient un autre texte de la Vision d'lsaïe que celui de Venise. Ils avaient probablement une version analogue à l'éthiopienne, ou cette version même qui affirmait ainsi la virginité de Marie, fiancée à Joseph :  
« Lorsqu'elle fut fiancée, elle se trouva enceinte... Et il n'approcha pas de Marie et il la garda comme une vierge sainte, bien qu'un enfant fut dans son sein... Et après deux mois... il arriva comme ils étaient seuls que Marie regarda alors de ses yeux et vit un petit enfant et elle fut effrayée... Et je vis à Nazareth qu'il tétait comme un enfant... ».

Ce processus est le même que celui de la descente de Jésus de cieux en cieux, selon la Vision d'Isaïe. Origène disait que les âmes dans leur descente, revêtaient un corps astral, un corps éthérique et enfin un corps charnel . Dans les Kephalaïa (les Chapitres manichéens) aussi fut décrite la descente de Jésus de véhicule en véhicule, c'est-à-dire en se recouvrant de vêtements, de corps de plus en plus denses jusqu'aux éléments du feu, de l'air, de l'eau, et « après qu'il les eut revêtus, il est venu et a paru dans la chair (sarx) ».

Si l'on considère, comme nous l'avons indiqué, que le corps céleste de Jésus était un corps humain fait .d'une substance pure, comme celle d'Adam avant « la chute », on voit que les cathares du Midi expliquaient ce que la théologie catholique affirme comme étant de foi : la naissance de Jésus par l'opération du Saint-Esprit. Nous pensons ici à une parthénogénèse, c'est-à-dire à une conception sans intervention masculine, le corps céleste de Jésus étant lui-même doué de toutes les forces masculines et féminines, comme dans l'androgynat du Premier Homme cosmique.

Qu'était donc le Christ selon les cathares ?

" Il n'a eu ni père, ni mère mortels, cependant Homme Universel, Adam céleste aux dimensions cosmiques, se manifestant en Jésus, il est entré dans une chair mortelle."
 C'est donc vainement que Huesca opposait aux cathares l'Epitre de Paul aux Philippiens (11. 5-7).

 En effet, l'Adam céleste forme de Dieu et égal à Dieu (Il. 5, 6 et 7) a pris « la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes et en étant reconnu comme homme par tout ce qui a paru de lui au dehors ». Le témoin Sicre entend de Bélibaste lui-même dans una villa de San Matéo (Taragone), Espagne, « que le Christ ne mangea ni ne but, nourriture et boisson, bien qu'il parut aux assistants manger et boire, mais qu'il se nourrissait de la grâce de l'Esprit saint ». Nous voyons là, comme en d'autres indications analogues, le Christ en tant que fils de Dieu et non soumis aux besoins terrestres. Les récits de « l'adombration » du Christ en la Vierge Marie d'après des témoins qui sont de l'Occitanie confirme ce sens du Christ spirituel. En voici un que Le dit prêtre (Pierre Clergue, recteur de l'église de Montaillou) lui a dit que les bons chrétiens ne croyaient pas que le Christ ait reçu une chair humaine de la Bienheureuse Vierge, ni qu'il soit descendu en elle afin de recevoir d'elle une chair humaine, car, avant que la bienheureuse Marie fût née, le Christ était, et depuis l'éternité. Mais il s'est seulement « adombré » en la bienheureuse Marie ne recevant rien d'elle et le dit prêtre expliquant le nom d'adombration lui dit que « c'était comme un homme qui, mis dans un tonneau, se tient dans son ombre, n'en recevant rien, mais y est seulement contenu. Ainsi le Christ a habité dans la Vierge Marie, ne recevant rien d'elle, mais n'étant en elle que comme un contenu dans un contenant ». Le témoin reprend ce que nous venions de noter, à savoir que le Christ paraissait faire la Cène avec ses disciples mais n'avait jamais mangé ni bu. Il atteste que le Christ fut crucifié mais qu'il ne faut pas vénérer ou adorer la croix sur laquelle il a été outragé et comme le disait la première Epître de Jean (que les bonshommes avaient toujours sur eux) le Christ est venu, a vécu parmi nous, a souffert la passion, a été crucifié et est mort pour notre salut. Il est évident ici que Maria est prise comme Sophia chez les gnostiques et les manichéens pour l'Eglise de Dieu. Ce sens est confirmé par ce que Bélibaste répondait en disant que les bons chrétiens étaient les membres de la Vierge et que les simples croyants en étaient les tibias. Il refusait d'en dire davantage à Sicre qui lui demandait ce que cela voulait dire. Ce refus de s'expliquer est attesté par d'autres témoins. Nous touchons bien là au catharisme ésotérique. Rappelant ce que les cathares disaient en secret « Dicebant etiam in secreto suo » sur le Christ visible et le Christ invisible, Vaux-Cernay écrit que ce bon Christ selon certains cathares était né et avait été crucifié dans une autre terre nouvelle et invisible ». Souvenons-nous ici de ce qu'aurait enseigné Jean de Lugio, cinquante ans après, selon Sacconi, Col. 1273 : La naissance dans la bienheureuse Vierge, la Passion, la crucifixion et la résurrection auraient eu lieu dans un autre monde que celui-ci. Cette pensée dont nous avons retrouvé des traces chez les cathares d'Occitanie rappelle le mythe manichéen de la descente de l'Homme universel dans les ténèbres de la matière, de ses souffrances et de sa passion qui a trouvé ensuite son expression terrestre dans la crucifixion de Jésus. Il n'en reste pas moins que le Christ ainsi défini qui est tout d'abord l'Adam céleste s'est manifesté dans Jésus et que si l'exposé populaire de la naissance de Jésus paraissait docétiste, déjà la version éthiopienne de la version d'Isaïe indiquait qu'il tétait au sein de sa mère et nous avons vu les témoignages qui expliquaient que le corps céleste spirituel (éthérique) de Jésus avait formé, grâce au sang de sa mère, le corps terrestre avec lequel il est né. Pendant la crucifixion, le Christ se détacha momentanément du corps puis y rentra le troisième jour, le ressuscita et monta au ciel.

Quand on parle à ce sujet de « fantôme du Christ » pour désigner son corps invisible, son double, avec lequel il apparaissait parfois à ses disciples au cours de sa mission terrestre et avec lequel il est apparu après la résurrection, il faut se souvenir de la descente de Jésus en corps éthérique pour la formation d'un corps terrestre dans le sein de sa mère et ensuite après la résurrection son retour à l'état éthérique augmenté d'éléments matériels transmutés.

Le Christ se manifestant en Jésus, la question se pose de savoir quelle était l'âme, exactement l'individualité de Jésus-Christ.

Nous lisons dans la Somme de Sacconi que, selon !es Concorreziens, Jésus-Christ n'avait pas une âme humaine; il avait donc une âme divine bien qu'il ait pris une chair terrestre dans le sein de !a bienheureuse Marie. (Il s'agit vraisemblablement de l'élévation du moi humain à la conscience de l'homme intégral, de l'Homme cosmique). Les cathares s'appuyant sur le Nouveau Testament, Sacconi disait particulièrement des Concorrèziens qu'ils « rejetaient tout l'ancien Testament, pensant que le Diable en fut l'auteur, excepté seulement de ces mots qui sont introduits dans le Nouveau Testament par le Christ et les apôtres... ».
Nous verrons qu'Alain de Lille et Huesca trouvaient cette opinion chez !es cathares d'Occitanie, mais quelle en est l'origine sinon !es Capitula de Fauste de Milève reproduits par St Augustin dans son Contra Faustum et connus ainsi de tous les chrétiens. Fauste de Milève, l'évêque manichéen connu par ses controverses avec St Augustin, était un polémiste avisé et un orateur de talent; on trouve dans ses « Capitula », un intéressant chapitre sur le dieu des manichéens, mais il se montrait plus raisonneur que voyant. Il était nourri de la culture gréco-latine, plus rationnelle qu'intuitive; on remarque son ironie socratique, son esprit critique à l'égard de la Bible des Juifs et même à l'égard de passages interpolés des Evangiles. Il ne veut retenir que ce qui est pur et reconnu par l'Esprit, mais le Paraclet mis à part (ainsi que l'a écrit P. Monceaux), sa critique est toute rationnelle. Il s'inspirait surtout, pour sa polémique, d'un ouvrage d'Adimante, disciple direct de Manès. Il connaissait sans doute aussi ceux de Manès, comme l'Epitre du fondement, le Livre du Trésor et la lettre à Ménoch puisque Augustin lui-même en donne quelques citations. Ces ouvrages étaient d'ailleurs exotériques. Ils décrivaient par des mythes la lutte des deux principes, de la lumière et des ténèbres, ainsi que l'action salvatrice du Christ cosmique. Contrairement à ce qu'a écrit P. Alfaric, nous pensons avec le manichéen Secundin que Augustin n'a jamais pu pénétrer les arcanes de la doctrine manichéenne, car il n'était qu'auditeur et non initié. Il n'était d'ailleurs pas philosophe ainsi que l'a écrit Gustave Bardy qui a édité ses « Révisions ». Fauste, en face de Augustin, n'avait pas à exposer bien profondément la philosophie manichéenne ésotérique. Il a fait cependant ressortir l'unité divine du Père tout puissant, du Christ son Fils, siégeant dans le soleil et la lune, et de l'esprit qui agit dans l'air. Ceci nous donne la théologie chrétienne du manichéisme occidental qui a trouvé une expression analogue chez les cathares dans le Christ et l'Esprit émanés du Père mais retournant en lui. Avec une connaissance remarquable du Nouveau Testament, il discute au sujet de l'incarnation du Christ. On lui parle de Jésus, Fils de Dieu, né de Marie, mais Matthieu (1, 1), indique que Jésus est fils de David, fils d'Abraham, etc., et Fauste ajoute : « Si donc je m'en tiens à ce qu'il dit, le fils de David sera, pour moi, né de Marie. Mais, dans ce texte de généalogie, il n'est certainement fait aucune mention du Fils de Dieu jusqu'au baptême... Quant au Jésus qui serait Fils de Dieu, réfléchis au sens de ce qu'écrit cet auteur. Ce qu'il veut, ce n'est pas tant que nous regardions Jésus comme procréé de la Vierge Marie, que comme fait, un jour, Fils de Dieu par le baptême, dans les eaux du Jourdain. C'est là, en effet, qu'à son dire, a été baptisé par Jean celui qu'il a désigné dans son exorde comme Fils de David, et qui est devenu un jour Fils de Dieu, mais seulement des années plus tard — selon le témoignage de Luc environ trente ans après, il entendit une voix qui lui disait : « Tu es mon Fils; c'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui » (Matthieu III, 17; Luc III, 22).
Et Fauste précise : En effet, nulle part on ne lit qu'il soit dit au moment de l'accouchement de Marie : « Tu es mon Fils, c'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui » ou bien : « Voici mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis mon affection », mais c'est au moment de sa purification dans le Jourdain (Matthieu III, 17; Luc III, 22). Fauste, discutant les généalogies de Jésus et le désaccord de Matthieu et de Luc, montre que les catholiques ne donnent aucune raison probable de sa naissance.

Il distingue le « Livre de la filiation de Jésus-Christ, fils de David » (Matthieu I, 1) dont Marc ne s'est pas préoccupé, de « l'Evangile de Jésus-Christ, fils de Dieu » (Marc I, 1) et il ne croit pas que le Christ soit né. Il a vu exactement que le Deutéronome (28. 66) n'est pas suivi de l'expression : in ligno (pendu au bois) et n'a pas de rapport avec le Christ. (Ch. Puech et J. Danielou reconnaissent l'exactitude de sa critique littérale). Cependant, il retient l'expression chrétienne en lui donnant un sens cosmique. Il admet que c'est par l'Esprit que « la terre a conçu et engendré un Jésus passible qui est la vie et le salut des hommes et qui est suspendu à tout bois ! Sa passion a trouvé son expression dans la vie et la crucifixion du Jésus historique qui l'a reçu en Lui dont il a été oint (Christos) au baptême du Jourdain.
L'essentiel pour notre propos sera la critique que fait Fauste de l'Ancien Testament dont il montre le désaccord avec le Nouveau. Les rites et les moeurs prescrits par l'Ancien Testament sont rejetés par le Nouveau : « Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit » (Matth. IX, 16 Luc V. 36), « et on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres » Matth. IX, 16 et 17). « Pour qui que ce soit est une idole ce qui a été vénéré avant qu'on connaisse le Christ ». En effet lui-même a rejeté l'Ancien Testament. Le Christ a dit qu'il ne venait pas abolir la Loi et les Prophètes, mais les accomplir (et ceci dans son Sermon sur la Montagne. Cependant, le Deutéronome (V. 32; XII, 32 et XXVII. 26) a prescrit de ne rien ajouter, ni retrancher et il prononce une amère malédiction contre ceux qui ne seront pas restés fidèles aux préceptes de la Loi juive. Il s'agit donc de savoir ce que le Christ a voulu dire. Il a cité la Loi d'une manière générale. Or nous en voyons de trois sortes et les discerner n'est pas toujours facile : il y a celle des Hébreux que Paul nomme la Loi de péché et de mort (Rom. VIII, 2), celle des Gentils qui suivent la Loi, écrite « dans leur coeur comme leur conscience en rend témoignage » (Rom. II, 14-15). Enfin, la troisième sorte de Loi est celle qui délivre de la Loi de péché et de mort que la chair a rendu faible (Rom. VIII, 1, 2). Or, dans ce même Sermon sur la Montagne, alors qu'il vient de dire qu'il n'est pas venu détruire la Loi et les Prophètes, mais les accomplir (Matth. V. 17), le Christ ne rappelle pas les observances hébraïques, mais il énumère des préceptes antérieurs :
« Tu ne tueras point... tu ne commettras pas d'adultère... tu ne parjureras point » (Matth. V, 21, 27, 33). « Ces préceptes étaient en effet, dans les anciens temps, ceux des Gentils, comme ïl est facile de le prouver; ils ont été promulgués autrefois par Enoch, par Seth et par d'autres justes semblables... qui ne voit que Jésus dit cela de la Loi de vérité et de ses Prophètes ? Et voilà les préceptes qu'il complète : ... mais moi je vous dis ne vous mettez pas en colère... n'ayez pas de concupiscence... ne faites pas de serments, etc... (Matth. V, 21-22, 27-28, 33-34).

Cependant « là où il a paru citer des préceptes des juifs non seulement il ne les a pas complétés, mais il les a arrachés jusqu'à la racine par la prescription du contraire ». (Et ceci à la suite du Sermon sur la Montagne). Il rappelle la Loi du talion : oeil pour oeil, dent pour dent; et, il prescrit de ne pas résister au mal. « II a été dit : aime ton ami et hais ton ennemi et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ». Et ainsi de même au sujet des hypocrites qui affectent de prier debout dans les synagogues. « Lorsque vous voulez prier, entrez dans votre chambre » (Matth. V. 38-39; VI. 5-6). D'ailleurs, les pratiques juives de la circoncision, du sabbat, des sacrifices sanglants d'animaux, etc., etc., sont rejetés par les chrétiens comme par le Christ. En conclusion de ces critiques, Fauste de Milève déclare que !es Gentils dont il est sont venus directement au christianisme sans passer par le judaïsme. Fauste admettait de l'Ancien Testament tout ce qui est repris dans le Nouveau. Or, nous voyons qu'il n'y a en réalité pour lui que deux lois : la Loi strictement juive et la Loi des anciens sages inscrite dans toute conscience humaine, et c'est celle que le Christ vient accomplir. Ceci situe bien Jésus comme l'homme que le Christ porte à la perfection. L'attitude satanique de Jéhova, selon la conception dégénérée qui s'exprime parfois dans l'Ancien Testament, ressort dans les ordres de massacre des ennemis donnés par le Deutéronome (11. 34 et VIII. 16). Mais l'opinion des cathares albanais, rapportée par Burci dans son Supra Stella, situe bien les cathares dans la ligne de Fauste de Milève : Il y a deux Moïse, l'un bon, l'autre mauvais et ils reconnaissent qu'avec de mauvaises choses il en est aussi de bonnes dans l'Ancien Testament, comme certains préceptes de morale. Or cette opinion sur les deux Lois et les deux Moïse a été attribuée par Alain de Lille et Huesca aux cathares de l'Occitanie. Nous trouvons, dans la Cène secrète la même doctrine au sujet de Moïse. Tout ce qui a préparé la crucifixion dans l'Ancien Testament est attribué à l'inspiration d'un ange de Satan qui parle à Moïse, mais une note du manuscrit de Vienne donne la prédiction d'un bon ange sur la croix qui fera le salut du monde. Quant à Jean-Baptiste, sa double inspiration était démontrée par son hésitation sur le rôle de Jésus comme Messie. L'influence de Fauste de Milève n'a pas empêché que tous les documents dont nous disposons se réfèrent à l'Ancien Testament comme au Nouveau. Dans les dépositions reçues par l'Inquisition de Pamiers, nous trouvons même dans le récit par Pierre Mauri d'un sermon de Bélibaste, des idées qui pourraient être un souvenir de l'Ancien Testament, particulièrement de la Sagesse et des Psaumes. Retenons en tout cas que l'influence précise de Fauste de Milève s'est exercée par son caractère rationaliste contre Augustin qui voulait croire aux dogmes de l'Eglise romaine et comprendre ensuite, Fauste a défendu la liberté de croyance et il n'a voulu croire que ce qu'il a compris après réflexion. Il n'a usé que de la raison, sans révéler la vision directe des réalités spirituelles qui étaient le fond même du manichéisme.
A la foi d'Augustin, il a opposé la raison critique et la lumière intérieure de l'âme. Nous retrouvons son influence dans l'attitude critique des cathares tempérés par le recours à une expérience spirituelle directe.

Nous devons indiquer quelle a été la doctrine cathare sur Adam, l'homme Universel, et Adam, l'homme terrestre. Nous donnerons ensuite des textes précis sur la nature de Jésus, sa descente en ce monde et la manifestation du Christ en lui


SUR ADAM


Lucifer, après avoir séduit les anges dans le ciel, descendit dans le chaos et y vit un esprit qui avait quatre faces. Pour distinguer les éléments, il en amène un troisième. Ils firent le corps d'Adam, mais « ils reçurent un jeune ange et le posèrent dans le corps d'Adam et ainsi fut fait Adam en âme vivante ». Au sujet du Diable « ils racontent qu'il forma lui-même le corps d'Adam et Eve, mais il ne put pas vivifier le corps d'Adam qu'il avait formé le premier de terre. Mais certains disent que Dieu tout puissant inspira et vivifia ce même corps... Ensuite, ils disent que Dieu envoya un bon ange pour voir comment Lucifer avait distingué les éléments et ce qu'il en avait fait. Lucifer ayant saisi cet ange s'empara de lui et le mit, en l'étouffant, dans le corps qu'il avait formé... ». Et encore : « Lucifer, chassé du ciel rencontra l'un de ses serviteurs, ou plutôt un bon ange envoyé par Dieu. Et le tenant il le mit en prison, c'est-à-dire qu'il l'associa au corps qu'il avait formé lui-même de terre et ainsi fut vivifié le corps d'Adam ». Moneta donne un passage analogue et son éditeur, Riccini, se réfère au Valentianisme et au manichéisme. Sôderberg, dans « la religion des cathares » (pp. 88-93 et suivantes), a bien vu que, de cet ange unique Adam, comme du Premier Homme du manichéisme, sont venues toutes les âmes humaines. Sôderberg relève (pages 114-115) que dans le manichéisme l'idée de « l'âme vivante apparaît pour désigner l'élément divin emprisonné dans la matière et les ténèbres ». Il cite le 138e chapitre des Képhalaïa, relevé par Schmidt et Polotsky dans Ein Mani-Fund (pages 70-72). Schmidt pense que Mani a appliqué au Premier Homme le texte de Paul (I Cor, 15, 45) « Adam le Premier Homme a été créé avec une âme vivante ». Sôderberg recherche, mais seulement à partir de la page 157 (dans son chapitre « Spiritus Adœ » comparé aux idées de l'Homme primordial et de l'Ame primordiale), l'origine de l'idée de l'ange Adam enfermé dans le corps du premier homme terrestre chez les gnostiques et les manichéens : l'ange Adam est appelé esprit d'Adam et aussi âme d'où descendent toutes les âmes.
Deux idées sont amalgamées, Adam, Homme primordial, Esprit, et aussi Ame primordiale donc collective d'où descendent toutes les âmes humaines. Sôderberg conclut, page 168: « Pour résumer, nous pouvons constater deux groupes de motifs dans les mythes des cathares mitigés : « l'un juif et chrétien et l'autre gnostique. L'ange Adam est l'Adam céleste, mais il est aussi l'Homme Primordial ou l'âme collective enfermée dans le corps du premier homme ». Nous remarquons cependant qu'il y a identité entre le motif chrétien et le motif gnostique. Séparer ces motifs, c'est s'arrêter au préjugé des soi-disant orthodoxes qui ne considèrent pas les gnostiques en général comme chrétiens.

Or, les cathares avaient une doctrine chrétienne-gnostique comme les Origénistes et les Manichéens. La question essentielle est de savoir comment, selon les cathares, se produit cette transmission de l'âme collective d'Adam, Homme primordial, aux âmes des hommes incarnés. Sôderberg (pages 154 et suivantes) écrit que, selon Platon dans le Timée, « un sperme divin est mis par le Démiurge dans le cerveau et dans la moëlle épinière », mais il pense lui-même que « dans le gnosticisme la semence était un symbole de l'élément supérieur dans l'homme ». Dans les Extraits de Théodote (53. 2) nous relevons l'essentiel : « Or Adam émis la semence qui est en Adam, afin que « l'os » — l'âme « raisonnable » (logikè) et « céleste » — ne soit pas vide, mais qu'il soit rempli de moêlle pneumatique ». M. Sagnard explique : l'os signifie l'âme divine psychique « solide » qui est le corps de l'âme pneumatique (spirituelle), comme l'os enferme la moêlle; la chair est l'âme hylique (matérielle), c'est le corps de l'âme divine. Et il note que le germe pneumatique n'est pas transmis par la reproduction du corps physique : « Adam n'a transmis par lui-même à sa postérité que l'élément de limon »... « Autrement, si Adam semait aussi du psychique et du pneumatique comme il sème de l'hylique ( matérielle), nous serions tous égaux et justes », quant au psychique, et « nous aurions tous l'enseignement », c'est-à-dire la Forme parfaite, quant au pneumatique ». Voilà la position gnostique quand il s'agit de l'Adam terrestre qu'il faudra distinguer de l'Adam céleste, Homme Primordial des manichéens.

Sôderberg estime donc par erreur que, dans le gnosticisme, « ce sperme divin était transmis à de nouveaux individus par la reproduction » et plus encore quand il voit la confirmation de ce qu'il pense avec la prétendue interdiction du mariage et de la reproduction toujours avec les références de Dôllinger et Guiraud qui sont sans valeur à ce sujet. Nous avons déjà montré par des textes et récemment dans l'article de l'ouvrage « les cathares » que nous complétons, que ces cathares considéraient comme Origène et ensuite Augustin lui-même l'acte sexuel comme nécessairement pénétré d'une concupiscence dont il convenait de se dégager au cours de l'existence, mais qu'ils ne condamnaient pas le mariage des simples croyants et la reproduction des corps nécessaires à la réincarnation des âmes imparfaites. Sacconi a écrit que, selon les cathares de l'Eglise de Concorrezo, « le diable forma le corps du premier homme et y introduisit un Ange qui avait déjà un peu péché. De même, ils croyaient que toutes les âmes sont ex-traduce (par transmission) de ce même ange. Les âmes, créées dès l'origine, sont dans cette même âme collective de l'Ange Adam. Tous les textes cités par Sôderberg disent que nos âmes descendent de l'Ange que le diable a posé dans un corps terrestre et Sôderberg l'admet bien (page 90) : « Les anges sont créés par Dieu, mais ils sont emprisonnés collectivement sous la forme d'un seul Ange ». L'âme humaine n'est donc pas créée par Dieu à l'occasion de la naissance d'un enfant. Cependant elle ne vient pas non plus des parents, mais directement de l'Ange collectif Adam. Moneta a écrit (page 6) : «... L'âme est transmise de l'âme comme la chair de la chair » et, (page 110) : « ... comme la chair naît de la chair par le coït, ainsi l'esprit est procréé de l'esprit ». Il y a donc concordance, mais pas de confusion, entre les deux processus. Moneta précise d'ailleurs  (page 120) : « Ils disent que de la semence de l'Ange, c'est-à-dire de l'esprit d'Adam, toutes les âmes sont transmises ».

Il est évident que le terme de semence est une image, les âmes existant dans l'Homme universel, Adam. Nous trouverons dans Dôllinger une intéressante indication, bien qu'elle soit d'une « Somme contre les hérétiques » (de Münich) : Dieu a créé toutes les âmes dès le début. « Elles ont été introduites dans des corps humains avec la permission de Dieu, et là elles font pénitence en passant dans huit ou seize corps ».

La situation des âmes humaines ne peut en effet s'expliquer que de deux manières, d'après les cathares, ou bien par la préexistence des âmes qui, selon Origène, s'incarnent au moment de la naissance, ou par des réincarnations successives de ces âmes dans des corps physiques.
Ainsi, en lisant dans la « Cène secrète » : l'esprit vient de l'esprit et la chair de la chair, on peut dire : l'âme vient de l'âme comme l'esprit vient de l'esprit. Ici, en effet, une distinction nette s'impose (que Sôderberg ne fait pas), c'est l'âme raisonnable divine qui est unie au pneuma, à l'esprit en l'homme. L'âme engendrée par les parents, selon le traducianisme de Tertullien est l'âme hylique, en réalité la partie de l'âme qui est étroitement liée aux sens du corps physique. En effet Tertullien, dans son « De anima », émettait cette opinion : « L'âme est produite en môme temps que le corps, comme c'est le cas pour les animaux ». Il s'agit donc bien de l'âme sensible dans l'homme, celle qui est liée au corps matériel.

Nous avons déjà signalé que les polémistes adverses, comme Moneta lui-même, citent des opinions comme diverses en écrivant : les uns disent, les autres disent, etc. Ils dissèquent et détruisent une synthèse d'opinions qui ne sont pas nécessairement opposées, mais conçues à des points de vue différents. Il en est ainsi de l'opinion citée par Dôllinger : « D'autres disent que les âmes sont ex traduce (par transmission) en croyant que les âmes des enfants sont produites par les âmes des parents, de même que les corps sont engendrés par les corps ». Nous remarquons qu'on a séparé deux opinions qui se complètent : les âmes humaines viennent d'Adam, Homme collectif primordial et la partie sensible de l'âme dans l'homme vient des parents comme le corps matériel. C'est sans doute cette « âme » dont Alain de Lille attribuait à certains cathares la pensée qui meurt avec le corps matériel, sans expliquer pourquoi.


SUR JÉSUS-CHRIST


Voyons maintenant ce que les cathares pensaient clairement de la nature de Jésus, de son incarnation et de la théophanie, de la manifestation du Christ en lui. Nous avons décrit la descente des âmes humaines dans des corps terrestres, cependant il en est qui sont restées dans ce Paradis qui a précédé la matérialisation de la Terre.

Elles avaient, selon Origène, des corps éthérés (nous disons corps éthériques en science spirituelle moderne). Ceci indiquait que l'incarnation de l'Adam terrestre ne s'est pas produite dans un seul corps, sans cependant qu'elle ait compris toutes les âmes humaines. Certaines de ces âmes qui préexistaient dans un monde éthérique, se sont incarnées dans des corps terrestres qui leur ont été donnés, comme l'écrivait Origène, pour qu'elles expient des péchés antérieurs. D'autres âmes comme celle de Jésus sont restées en union avec Dieu le Père. C'est pourquoi les cathares disaient que son corps n'a pas été pris « de la masse commune de la chair d'Adam », mais d'une substance restée pure comme avant la chute.

Ainsi que nous l'écrivions dans notre commentaire de la Vision d'Isaïe que nous précisons en relisant ce texte, « Nous sommes instruits des opinions des derniers ministres cathares albigeois par des dépositions qu'a reçues l'inquisiteur Jacques Fournier au début du XIVe siècle et qui rappellent les déclarations de Guilhem Bélibaste, selon Pierre Muid. Pour bien saisir la formation du corps terrestre, il faut savoir comment les forces formatrices de l'organisme, auxquelles on donne le nom de forces éthériques et dont l'ensemble était dénommé corps éthéré par Origène et l'est comme corps éthérique en science spirituelle moderne, donnent forme aux éléments matériels qui entrent dans l'organisme de la mère. (Nous avons montré l'existence et l'action de ces forces dans notre ouvrage « Survivance et Immortalité de l'âme »). Or, selon les cathares, si les âmes humaines ont laissé leurs corps éthériques purs dans le monde spirituel en entrant dans ces « tuniques de peau » qui sont, selon l'expression de St Paul, les corps du péché, Jésus est descendu et s'est incarné avec un corps humain éthérique pur, d'où la désignation de corps céleste ou spirituel. Cependant ce corps a été densifié par les éléments .matériels dont il a été nourri et auxquels il a donné la forme et la réalité d'un organisme humain terrestre. De ce fait, ce corps est devenu mortel, mais rendu de plus en plus subtil par le Christ qui s'y est manifesté à partir du Baptême de l'Esprit (par Jean-Baptiste), il est ressuscité en corps glorieux après la crucifixion. De même les hommes obtiendront, selon les cathares, leur résurrection grâce au Christ, et, en laissant leur enveloppe de chair en ce monde, ils seront revêtus des vêtements incorruptibles dont parlait déjà l'Ascension d'Isaïe.

Dans son étude sur les Doctrine et morale des derniers ministres albigeois (Revue des questions historiques, 33e année, nouvelle série, tome XLI, 1909), Les sources du néo-catharisme (pages 357 à 409), par J.-M. Vidal, St-Louis des Français de Rome, a écrit :
« Pierre Autier et ses compagnons avaient repris l'exécution du vaste et redoutable dessein qui était la transformation religieuse et morale des populations de ces contrées. Infatigable semeur de l'Evangile Nouveau dans le champ que leurs devanciers avaient arrosé de leur sueur et de leur sang, ils avaient le ferme espoir de voir lever et mûrir la plante cathare qui étoufferait et évincerait le vieil arbre desséché du catholicisme. H est nécessaire de faire connaître la nature de ce grain révolutionnaire ». (Cette admiration de l'écrivain Vidal est à remarquer). Notre auteur voit d'ailleurs qu'on prend des renseignements dans les archives de l'inquisition et qu'il est d'abord possible qu'il y ait eu des défauts de mémoire des interrogés et deuxièmement que « ce sont rarement les docteurs du catharisme qui sont appelés à en faire l'exposé, mais bien de simples croyants dont l'instruction est parfois rudimentaire et dont les souvenirs restent souvent confus ». Troisièmement la traduction de la langue romane en latin barbare est encombrée de formules stéréotypées qui ne sont pas toujours sûres. Quatrièmement, la littérature des prédicateurs et des polémistes est exposée à l'exagération, il faut la comparer avec les informations des contreversistes étrangers, il y avait des rapports étroits entre le néo-albigéisme et le catharisme italien.
Dans le Midi de la France « le vieux dualisme fut toujours le fond des croyances albigeoises », mais il y a des traces de l'influence des « modérés » italiens dans la doctrine de Pierre Autier et de ses collègues. (Vidal a parlé ici de confusion inextricable, mais ces modérés étaient ceux de l'Eglise de Concorrezo dont nous avons décrit la doctrine). (Voir Douais : les hérétiques du comté de Toulouse, dans le compte rendu du congrès scientifique international des catholiques : sciences historiques, 1891, pages 160-162 et les notes sur les relations des albigeois avec les sectes de l'Italie du Nord au Xllie siècle).


Documents utilisés :
1") Inquisition - Doat, T. XXV, XXVI et XXXIV - sur les 25 dernières années du Mlle siècle et les 5 premières du XIVe - Registres des inqui-siteurs: Geoffroi d'Ablis - livre de l'Inquisition de Toulouse (Limborch) Practica de Bernard Guy - Registre d'Inquisition de J. Fournier, 1318-1325, avec reproduction des sermons des « hérétiques », publié par Jean Duvernoy en trois tomes aux Editions Edouard Privat, Toulouse, en 1965. Doellinger a imprimé sans beaucoup de critique des extraits importants de ce manuscrit latin du Vatican /1030.
2°) Documents méridionaux : Inquisition de l'époque (Doat XXII et XXIII). Enquêtes de B. de Caux et de J. de St-Pierre (Ms 609 de la bibliothèque municipale de Toulouse). Voir Molinier : Inquisition dans le Midi de la France - Registre d'inquisition de Carcassonne (bibliothèque de Clermont-Ferrand, Ms 160, 1240-1260); idem Molinier et Douais : documents pour servir à l'histoire de l'inquisition dans le Languedoc, T. Il, pages 90-94.
3°) Documents d'origine italienne : Manifestatio de Bonaccorsus dans spicelegium, T. I, pages 208-215, édition Martène ;; Adversus catharos de Moneta, livre V. Summa de catharis de R. Sacchoni, puis les sommes et les traités.


  PARTIE DOGMATIQUE 

 

1) La Nature de Dieu et le dualisme.

 Bernard France de Goulier (folio 71 a, b et b, c) crut qu'en principe il y eut deux dieux, l'un bon, l'autre malin, lequel dieu malin ne fut fait ni par le Dieu bon ni par quelqu'un d’autre (folio 71 a, b). Mais il est et fut par lui-même, non fait par quiconque autre, mais il sort évidemment de l'absolu, du Père inconnaissable. Ensuite le Dieu bon a créé le monde et toutes les créatures qui y sont, et le dieu mauvais détruisait autant qu'il le pouvait toutes les œuvres du Dieu bon et ceci dura jusqu'à l'incarnation du Christ. Pierre Maury a dit que le dieu étranger qu'ils appellent quelquefois dieu mauvais et Satan, était l'organisateur du monde et qu'il avait fait par lui-même toutes les choses qui commençaient à être et qui ensuite sont détruites. Cependant, ce pouvoir, Dieu le lui donnait à cause des bons esprits qui sont dans le monde (folio 268 b, c). Dieu fit toutes les bonnes créatures, le dieu mauvais, les démons et les esprits pervers organisèrent les êtres visibles et les corps humains. Les bonheurs viennent de Dieu et les malheurs du Diable. « Dieu a dit que rien de ce qu'il a créé lui-même ne peut périr, car son verbe persiste éternellement ». Bélibaste, dans ses confidences à Sicre (folio 123 a, b), donne l'opinion des albanais, c'est-à-dire selon la tradition manichéenne venant de l'ancienne Albanie au sud du Caucase et au nord de l'Asie mineure.
Notons que selon J. Maury, G. Bélibaste expliquait que le dieu étranger se disait Dieu, mais ne l'était pas. Bernard France était dualiste, mais il admettait que le dieu du bien est plus puissant que le dieu du mal qui produit les grêles, les tempêtes en dépit du Dieu bon. (C'est pourquoi Jean de Luggio avait déjà écrit que Dieu n'était pas tout puissant ; Fauste de Milève l'avait d'ailleurs déjà dit avant lui).

2) La trinité divine.


Le Dieu bon est Un dans son essence. Bélibaste a expliqué que lorsque Dieu eut résolu de sauver le monde, il fit trois parties de lui-même dont l'une resta dans le ciel tandis que deux autres parties descendirent sur la terre pour enlever son pouvoir au diable. A la fin des temps, elles se réuniront de nouveau au Père avec lequel elles reformeront une seule personne. Mais Bélibaste expliquait qu'il y a eu trois personnes quand le Christ et le St-Esprit ont dû descendre sur la Terre, mais un seul Dieu (J. Maury, folio 222 c, d, XX). C'était la croyance des Bogomiles de Thrace. (Voir Schmidt, T. Il). On peut voir la représentation distincte du Père invisible, du Christ de gloire bénissant et au-dessous de lui, de Sophia, sur une grande fresque de Nijni-Novgorod. Nous la reproduisons dans notre commentaire de la Vision d'Isaïe annexée ci-après. Le Fils et le St-Esprit ne sont pas Dieu comme le Père, mais sont inférieurs et soumis (Reinerius, page 1788. Art heret., P. Maury). Bélibaste aurait dit, selon Sicre (folio 127 a, b), que le Christ n'est pas Dleu par nature, mais ange, car avant qu'il vint au monde il s'appelait Jean. C'est Jésus, on le sait et non Jean que s'appelait le Christ (déposition de J. Maury, XX, folio 222 d). Les cathares appellent le St-Esprit, Esprit principal. Au-dessous de lui, il y a des esprits paraclets ou consolateurs, gardiens des âmes. « Spiritum Paraclitum dabo vobis » (Jean XIV, 16), Les hôtes de ce paraclet n'usurpaient pas, comme l'a prétendu Vidai, le titre de St-Esprit, mais cette affirmation est inexacte. Le Père Dondaine a bien reconnu que « l'adoration » des croyants devant les bonshommes s'adressait à l'Esprit qui était éveillé en eux et non à leur personne.

3) Bons et mauvais Esprits.

 Un certain « bonhomme », qui doutait d'avoir la bonne croyance, demandait au Père de lui montrer sa gloire. Un ange le prenant sur ses épaules le porta dans tous les cieux jusqu'au septième. Le monde des bon esprits et celui des mauvais est divisé on sept cieux superposés, peuplés de sept choeurs d'anges ou de démons. Le Dieu mauvais est au sommet de l'Enfer, au-dessous s'étagent las royaumes de l'air, de l'eau et de l'abîme plus deux autres degrés .. (Confes-sion de A. Sicre, folio 126 c, d et la Cène secrète). Douais, les Albigeois... pages 239-248. C'est l'ascension de la Vision d'Isaïe dont nous donnons le texte en annexe et dont nous montrons l'importance par un commentaire. Les indications de Sicre sur le Dieu mauvais rappellent la Cène secrète et celle de Bélibaste sur les sept cercles angéliques rappelle la Vision d'Isaïe.

4) La chute des âmes.

Dans une déposition de Guilhem Baille (registre d'Inquisition, o.c., folio 199 a, b) nous lisons ce propos, attribué à Pierre Maury : Pierre Autier, quand il allait être brûlé, a dit que s'il lui était permis de parler et de prêcher au peuple, il convertirait tout le peuple à sa foi. Dans une déposition de Sybille d'Arques (folio 201 d à 206 d, 202 a, b, c) nous lisons : Pierre et Jacques Autier sont vus dans la maison de Sybille à Arques. Pierre Autier y fait un sermon à un groupe d'auditeurs. Le témoin ne se souvient pas bien du sujet de sa prédication, mais il dit cependant que Jacques Autier, son fils, prêchait mieux que lui-même, il parlait d'une bouche angélique. Le jour suivant Jacques Autier lisait un livre et Pierre Autier, son père, l'expliquait en langue vulgaire. Parmi d'autres choses le dit Pierre a dit que le Père céleste avait fait tous les esprits et toutes les âmes dans le ciel et les dits esprits et âmes étaient avec le Père céleste. Ensuite le diable alla à la porte du paradis, voulant y entrer et il ne le put pas, mais il se tint à la porte pendant mille ans; ensuite il entra frauduleusement au paradis, et quand y fut, il persuada aux esprits et aux âmes créés par Dieu le Père qu'il n'était pas bon pour eux d'être sujets du Père Céleste et que s'ils voulaient le suivre et alter dans son monde, lui-même leur donnerait des biens, c'est-à-dire des champs, des vignes, de l'or et de l'argent, des femmes et d'autres biens de ce monde visible. Trompés par cette opinion, les esprits et les âmes qui étaient dans le ciel suivirent le diable et tous en tombèrent comme tombent les eaux de pluie en fines gouttes. Alors le Père céleste, se voyant comme déserté par les esprits et les âmes, mit son pied sur la trappe par où s'échappaient les esprits et les âmes et dit à ceux qui restaient que si quelques-uns dès lors partaient, ils n'auraient jamais ni pause ni repos; et à ceux qui descendaient il dit : « Vous êtes pro modo et pendant les violettes » et s'il eût dit pendant le reste du temps, nul des dits esprits ou âmes ne serait sauvé ou ne reviendrait au ciel. Mais parce qu'il a dit pendant les violettes, c'est-à-dire pour quelque temps, tous les dits esprits reviendraient au ciel de même cependant que les évêques et autres grands clercs, parce que leurs esprits furent assemblés et donnèrent avis que les esprits sortiraient du ciel avec grande difficulté et y reviendraient tardivement, mais les hommes simples qui subitement et séduits par d'autres consentirent à sortir du ciel y retourneraient aussitôt et facilement... et il les empêcha désormais de sortir sans son ordre. (Confession SybilIia, folio 201 d, 202 a, b, c; variante dans Doat, XXXIV, folio 95). Le tentateur, selon une opinion commune, ne séduisit que les âmes des créatures angéliques, les esprits et les corps spirituels restèrent fidèles (commentaire de l'Apocalypse XII, 4 « Draco trahebat tertiam, partem stellarum... »). Tous les esprits déchus ont été incorporés. Le monde diabolique existait avant l'expédition du dieu mauvais, mais d'après le cathare qui a instruit Jean Maury (comme les modérés de Concorrezo), les plus coupables des anges rebelles, les démons et les autres anges emprisonnés dans des corps mortels, passent de corps en corps. Les premiers sont tombés par leur volonté et les autres comme forcés. Le diable fit aux âmes emprisonnées des tuniques de terre (on lit, dans la Genèse, des tuniques de peau). Guilhem Audebert avait beaucoup d'écrits. (Doat, XXXII, folio 12 V", Guiraud, pages XXXVI!, XXXIX-XL du cartulaire de N.-D. de Prouille). Au sujet du mythe de !a dissension entre le dieu bon et le dieu mauvais, Vidal a trouvé que c'était une impossibilité métaphysique, mais ce mythe ne manque pas de bon sens. En effet, quand Satan dit à Dieu : « Laisse moi faire et finalement je te rendrai toutes choses », c'est le rôle de Satan délégué par le Dieu tout puissant qui est mis en évidence par « la Cène secrète » pour l'organisation d'un monde matériel dans lequel devront s'incarner les âmes humaines.

Jacques Autier disait dans le sermon qu'on a de lui (voir Pierre Maury, folio 251 a, b et bc) : « Maintenant parlons du Saint-Père, voyez ce qu'il a dit : Il décrivait l'entrée de Satan dans le Royaume de Dieu et sa promesse d'un monde meilleur aux Esprits qui s'y trouvaient. Ceux-ci furent incités à sortir volontairement du ciel par un certain trou par où ils tombèrent. Ce que voyant, le Saint-Père ferma le trou et dit : Qui se conduira ainsi n'aura pas de repos, dans l'esclavage du Dieu étranger, sur une terre où vous aurez du mal et des afflictions, car le monde n'est pas stable, ce que fait Satan il le détruit... Le Saint-Père dit aux esprits qui tombèrent 7 « Vous tous vous aurez des tuniques retournées de diverses manières, car vous irez d'une tunique à une autre jusqu'à ce que vous soyez revenus dans une tunique où vous serez dans la justice et la vérité et où vous serez sauvés. Cependant alors vous reviendrez dans votre royaume qui n'est pas dans la volonté de l'homme, mais doit suivre la volonté du Père. Et quand le Père attire un homme vers la vérité et la justice et il est opportun que l'homme le suivre ».

5) Création de l'Homme physique par le Diable. 

 Jean 8.44  : « Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge. » 

Propagation du genre humain. Migration des âmes. Selon Bélibaste, si l'âme n'est pas « consolée », les esprits malins qui sont dans l'air la brûlent et la forcent d'entrer dans n'importe quel corps de chair, soit d'homme, soit de bête, car tant que l'esprit de l'homme est dans quelque chose, il repose et n'est pas brûlé par des esprits malins. (Sermon de Bélibaste, folio 261 b). Vidal a écrit que les âmes les plus coupables s'incorporent dans des corps d'animaux. On peut lire à ce sujet Schmidt (page 47) et Douais, les Albigeois (page 237). Cependant, il y a longtemps que Grégoire de Nysse a expliqué le sens de ce mythe : les âmes les plus coupables ont des tendances animales qu'elles rapportent dans de nouvelles incarnations jusqu'à ce que les souffrances causées par leurs excès les éveillent. Quant aux femmes, Bélibaste reconnaissait que, les âmes n'ayant pas de sexe, elles pourraient aller au ciel après avoir dépouillé leur corps (Déposition de Pierre Maury, voir Schmidt, page 50), mais Bélibaste disait mieux (selon Sicre, folio 123 a, b) c'est que le Père saint avait décidé qu'aucune femme ne pouvait entrer dans son royaume. Le professeur Ch. Puech, de la Sorbonne, a trouvé là un souvenir de la scène relatée dans les « Actes de Thomas » au cours de laquelle Jésus dit qu'il faut être homme pour aller au ciel. Il répond à la question des disciples : Et ta mère ? Elle sera homme ! Ce qui implique la croyance au retour de l'androgynat primitif. Le diable a fait des corps qui ne pouvaient pas se mouvoir et il a dit au Père céleste de mouvoir ces corps. Dieu y consentit à condition que les âmes qu'il y mettrait seraient à lui et les corps au diable. (Sermon de Pierre Autier, folio 202 c. Voir Doat XXII, folio 42, et Doat XXV, folio 43-44, 59...).


6) Les éléments du composé humain.

 Le corps humain se compose de trois éléments : le corps vient du Diable, l'âme de Dieu et l'Esprit est le compagnon de l'âme.
Un esprit mauvais hante les pécheurs (Brevis summa, page 725 albigenses). Les cathares disaient que le péché est une substance par soi ou un esprit qui suggère aux hommes de faire le mal. Dès lors, cet acte est appelé péché parce qu'il est commis par cet esprit qui est ainsi nommé. Pour faire saisir par une image Ta distinction entre l'âme et l'Esprit, Philippe de Alayraco a expliqué (folio 255 c, d, sermon de Pierre Maury) que deux croyants dont l'un dormait quand l'autre veillait se tenaient près d'un ruisseau. Celui-ci vit une chose ressemblant à un lézard qui sortait de la bouche du dormeur et qui, par quelque paille ou une planche, passa sur la rive où était une tête d'âne décharnée. La chose y entra et en sortit en courant de divers côtés par les trous de cette tête et ensuite elle revenait jusqu'à la bouche du dormeur par la dite planche. Ce que voyant, le croyant qui veillait écarta la dite planche et quand la chose sortit de la tête d'âne elle ne put passer le ruisseau... Le corps du dormeur se remuait fortement et ne pouvait pas se réveiller... Cependant le veilleur reposa la planche et la dite chose traversa le ruisseau et rentra dans le dormeur qui se réveilla. Un « bon chrétien », interrogé, leur expliqua que l'âme restait toujours dans le corps jusqu'à la mort du corps et que cependant l'esprit de l'homme figuré par le lézard y entrait et en sortait.

7) La rédemption et le rédempteur.

 Bernard Franca a indiqué le rôle du rédempteur par le conte du Pélican Confession de Bernard Franca (fol. 71 b) dont voici la traduction : Un certain oiseau appelé Pélican, qui est aussi brillant que le soleil et qui suit le soleil lui-même, eut des petits. Comme il les laissait dans le nid quelque part en suivant le soleil une certaine bête venait déformer les membres des petits et leur amputer le bec. Quand le pélican fut revenu vers ses petits, en trouvant leurs membres déformés et leurs becs détruits, il les soignait. Et comme il le faisait fréquemment il conçut enfin en lui-même pélican, de cacher sa clarté, après quoi il se tiendrait caché à côté des enfants. Quand la dite bête viendrait, il la prendrait et. la tuerait pour qu'elle ne puisse pas d'ailleurs déformer leurs membres et enlever les becs. Et c'est ce qu'il fit de sorte que les petits pélicans furent préservés de déformation des membres que leur faisait la dite bête, prise elle-même par le Pélican. Et de même, dit-il, le dieu bon faisait les créatures et le dieu mauvais les détruisait jusqu'à ce que le Christ cachât ou adombrât sa clarté quand il fut incarné sortant de la Vierge Marie. Alors il prit le dieu mauvais et le posa dans les ténèbres de l'enfer et, dès lors, le dieu mauvais ne put pas détruire les créatures du dieu bon. Et par suite de cette croyance, il dit enfin qu'il y a deux dieux, c'est-à-dire un dieu bon et un dieu mauvais. « Conception poétique », mais pas facilement « orthodoxe », comme l'a cru Vidal, puisqu'elle est nettement dualiste.

Le Christ, a prétendu Vidal, ne serait venu, selon les cathares, que pour apprendre aux âmes dévoyées le moyen de retourner au Paradis; cependant les cathares savaient que c'était par le Christ qu'à travers des vies successives on pouvait arriver à la perfection (Schmidt 111, pages 39, 76 ; Douais, les Albigeois. page 234). Jacques Autier montre la route dans l'humilité (Sermon de Jacques Autier, filo 251 ci) : «... Il était opportun que nous revenions au ciel par l'humilité, la vérité et la foi ». Décidé à racheter le monde, le Père saint composa un livre dans lequel étaient décrites complètement les douleurs. les angoisses, les afflictions, les privations, les infirmités, les outrages, !es injures, les envies, les haines et généralement toutes !es peines qui peuvent atteindre les hommes en cette vie Il ajouta alors que celui qui voudrait supporter toutes ces dites peines qui peuvent échoir aux hommes et dire qu'il les supporterait, serait Fils de Dieu. Mais beaucoup des esprits célestes qui voulaient être Fils saint du Père, en lisant les peines que devait subir celui qui voudrait venir parmi les hommes, tombèrent en convulsions.
 Nul ne voulut renoncer à la gloire qu'il avait et supporter les peines de cette vie pour être Fils de Dieu. Voyant cela, le Père saint demanda si quelqu'un d'eux voulait être son Fils. Alors l'un des assistants appelé Jean (la suite montre qu'il s'agit de Jésus) se leva et dit que lui-même voulait être Fils de Dieu et accomplir toutes les choses qui étaient décrites dans ce livre. Prenant ce livre il l'ouvrit, il lut quatre ou cinq pages, tomba en convulsions et y resta pendant trois jours et trois nuits. Ensuite il résolut d'accomplir ce qu'il avait promis. Il descendit du ciel et apparut comme un enfant né à Bethléem Sainte Marie fut grosse comme si elle était enceinte et ensuite le dit enfant apparut à côté d'elle. (Comme dans la Vision d'Isaïe cette réserve avait pour but d'affirmer la naissance virginale de Jésus). Trois rois apprenant cela (il s'agit de trois mages, c'est-à-dire de trois prêtres de Mithra) vinrent ensemble près de l'enfant et l'adorèrent. (Récit de Bélibaste selon Sicre, folio 125 c, d). Selon Bélibaste, le Christ était spirituel quand il vint. li était une partie de Dieu le Père qui entra dans le corps de ia bienheureuse Marie et y reçut chair, sang et corps humain terrestre dans lequel il apparut dans le monde. Nous n'avons pas ici la distinction entre Jésus, Homme et Christ, fils de Dieu, Jésus étant homme et ensuite Fils de Dieu, oint, après le baptême et l'initiation du Jourdain.
 Les cathares disaient pourtant que Jésus avait apporté sur la terre le corps qu'il avait dans le ciel. Jean Maury suppose que ce corps spirituel a pénétré dans le sein de Marie où il a été nourri du sang de la Vierge pendant sa grossesse (déposition de Jean Maury, folio 219 b). Jésus en effet, selon les manichéens, est descendu du ciel de sphère en sphère se revêtant dans chacune de la substance qui s'y trouvait et il a pris les éléments matériels dans le sang de Marie pour former son corps terrestre. E3élibaste ayant déclaré que les croyants étaient « les tibias de la Vierge Marie » répond à Sicre qui lui demande la signification de cela : «Deviens bon homme et je te le dirai ». C'est là une preuve d'ésotérisme. Cependant Bélibaste disait qu'on ne devait pas honorer la croix ni les saints qui sont des idoles, le coeur humain étant l'Eglise de Dieu. (Confession de Sicre, folio 127 a et ab) : la Sainte Vierge était l'Eglise cathare dont les membres étaient ceux de la Vierge qui chastement engendre les fils de Dieu... (Practica, pages 238-239. Schmidt II, page 42). Les miracles sont entendus dans le sens spirituel de guérison morale. Douze apôtres ont été amenés du ciel par le Rédempteur en corps spirituels (J. Maury, folio 219 b). Maury ne sait pas comment ces apôtres ont été martyrisés sans corps physique. Jésus, après sa mort, est ressuscité et est apparu à Madeleine ainsi qu'aux disciples. (Confession de Sicre, folio 126 a, b, c/c).

8) L'Eglise. Y a-t-il eu un pape cathare ?

 Schmidt le nie (t. Il, pages 142-149) et J. Guiraud (page CXXVII). Douais l'affirme dans son ouvrage Sur les albigeois (pages 262-265) de même que Smedt : Sources de l'histoire, de la doctrine et des pratiques de l'hérésie albigeoise dans la revue des questions historiques (1874, T. XVI, page 479). J. Maury disait qu'on le nommait « le St-Père apostolique » (Jean Maury, XXI, XXII, folio 222 d) lequel, comme il disait, conservait la sainte foi romaine ». Mais depuis il n'y avait plus de pape ni d'évêques, mais simplement des « anciens » en Languedoc.


9) La Grâce. La liberté humaine. Le péché. Le salut.

 Bélibaste racontait la conversion de Paul et disait « quand le Père voulut il le tira à lui, car nul ne peut être sauvé si le Père ne l'entraîne et aussitôt que le Père l'entraîne il le suit et est sauvé. (Sermon G. Bélibaste, folio 261 b, c). Bernard France (Article B. Franca, folio 73 a, b, plus b-b, c , etc., XI et XXX, XIII, XIV) : Tout ce qui arrive dans ce qui arrive dans ce monde, arrive par nécessité et ne peut pas être autrement que ce qu'il est à cause de l'infaillibilité et de la prescience immuable de la volonté divine, d'où pas de mérites ni de péchés imputables à la volonté humaine (voir Moneta, pages 5 et 6).
 Les cathares radicaux niaient le libre arbitre, mais les mitigés l'admettaient. Malgré ces principes catégoriques les cathares mettaient en garde contre les péchés et pratiquaient des pénitences rigoureuses. Le professeur Ch. Puech, de ia Sorbonne, a expliqué que, selon les manichéens, la cause des fautes, des péchés, était une inspiration démoniaque et que cependant le chrétien était responsable de son acte, s'il se laissait entraîner. On peut dire cela des cathares. C'est ce qui explique la pratique des pénitences. D'ailleurs, toutes les âmes passant par des vies successives après être tombées, arriveront au salut en aboutissant à l'initiation cathare et au Consolament.


10) Les sacrements.

Nous avons expliqué, dans les Etudes manichéennes et cathares, que le consolament n'était pas un sacrement à la manière catholique, mais une cérémonie de réception dans l'Ordre cathare après une période de probation de quelques années et d'initiation spirituelle réelle. Pour être reçu dans l'Ordre, un croyant devait avoir atteint « l'état de perfection ». Ils considéraient les sacrements d'un prêtre indigne comme sans valeur et ceux de l'Eglise romaine comme superflus.
Pour eux, le baptême d'eau ne valait rien, parce qu'il était fait dans une eau matérielle et que le baptisé, n'ayant pas l'usage de la raison, on répondait pour lui et on promettait qu'il serait bon et fidèle chrétien. (Sermon P. Autier, folio 203 a, 250 a de P. Maury, folio 223 a, b, (XXXII!). C.f. Doat, XXXIV; folio 100 V0). Dans les évangiles, l'eau est la doctrine, la parole de Dieu et des bonnes oeuvres (Ms. 4269 latin, Bibliothèque nationale, folio LIV, 1/0).

Le consolament était donné aux adultes d'au moins douze ans ou, mieux, de dix-huit ans. Cependant, Prades Tavernier « reçoit la petite fille de Raymond Peyre d'Arques », Jacoba, qui n'avait pas encore un an mais qui était très malade. (Interrogatoire de Sybille, folio 203 d). Les cathares pratiquaient la fraction du pain (selon Matthieu XXVI, 26) : le corps du Christ était pour eux la parole de Dieu dont il faut repaître son esprit (Ms. 4269 latin. Bibliothèque nationale folio LIV V°).

 Les cathares étaient contre l'idolâtrie du St-Sacrement. Après la confession publique il y avait des pénitences et des réparations personnelles. Bélibaste souhaitait qu'aucun homme ne s'unisse charnellement avec une femme, de sorte qu'il « n'y aurait plus d'enfants et que les élus retourneraient rapidement dans le ciel » (Confession de A. Sicre, folio 128 b). Vidal y a vu la ruine de la société humaine alors que St Augustin a écrit la même chose (Ms. 609, Bibliothèque de Toulouse, folio 50) : « Nul poterat salvari in matri-monium ». Cependant, la continence est préférable et il est plus sage de s'attacher une seule femme que de courir les courtisanes. Le croyant doit préférer une compagne qui, comme lui, possède l'entendement du bien. Selon Pierre Maury (d'après Sicre. 128 b, c), les croyants se présentaient devant un « bon homme » qui leur demandait s'ils se voulaient mutuellement. Ceux-ci répondant oui, le dit bon homme leur disait de se promettre une fidélité mutuelle, de s'entraider mutuellement tant en santé qu'en maladie. Cela fait, ils s'embrassaient et c'est ainsi qu'il faisait des mariés, C'est ce que fit Bélibaste pour Pierre Maury. Cependant une femme croyante, Guillemette, se sépara d'un mari hostile aux cathares. (Le mariage était rompu par l'initiation cathare, mais c'était par consentement mutuel comme le faisaient les moines et les nonnes catholiques. Guiraud rapporte dans son « Histoire de l'Inquisition » les visites que faisait le comte de Foix, accompagné de ses chevaliers une fois par an, à Philippe, sa femme, qui était entrée dans un couvent cathare). Les bonshommes s'appelaient entre eux « frères », ils considéraient que le vrai mariage était l'union de l'âme avec son esprit et que les incroyants sont ceux qui ont épousé un mauvais esprit,


11) Les fins dernières de l'homme et la fin du monde.


 L'âme non consolée se réincorpore. Si elle a été consolée elle va, au bout de 3 jours après la mort, au paradis terrestre où elle sera jusqu'au jour du jugement et elle ira ensuite au paradis céleste, Les portes du paradis s'ouvrent aussi pour l'âme du croyant qui, ayant mérité d'être consolé, n'a pu l'être par un homme et l'a été par un ange avant la mort. (Ceci rappelle la doctrine manichéenne sur l'assistance de trois anges au moment de la mort d'un initié. (Déposition de Jean Maury, XVI, 222 c, d). Cf. sermon de G. Bélibaste (folio 216 c), les dépositions de Jean Maury (X, 222, a, b) : « Ils avaient cependant un esprit cathare, c'est-à-dire\ un ange, qui les initiait avant la mort » (1). (Nous rejetons l'expression d'hérétiques).
Les âmes n'iront pas au paradis céleste avant le jugement (Doat, XXV, folio 199). Les cathares distinguaient le paradis terrestre, c'est-à-dire le purgatoire auquel l'âme accède après une vie, du paradis céleste qui sera le résultat de la transformation de la terre à la fin du monde. D'après. J. Maury (folio 222 a, b, XI) les croyants ou non croyants ne peuvent pas être sauvés, ni entrer au paradis terrestre après la mort, s'ils ne renaissent pas, c'est-à-dire s'ils ne sont pas initiés, après quoi ils entrent au paradis terrestre où ils restent jusqu'au jugement pour entrer au paradis céleste. On sait qu'en réalité le paradis terrestre étant le purgatoire, les âmes y passent après la mort avant une nouvelle incarnation. La renaissance spirituelle étant l'initiation cathare les réincarnations n'étaient nécessaires qu'avant cette initiation et jusqu'à l'initiation au cours d'une vie terrestre. Guillemette Maury (folio 222 c, d, XVI) dit que l'âme humaine va de corps en corps jusqu'à ce qu'elle soit initiée après quoi trois jours après la mort, elle va dans le paradis terrestre jusqu'au jour du jugement. Or, selon la doctrine cathare correcte, après le paradis terrestre, c'est-à-dire le purgatoire, l'âme se réincarne; ce qui n'est plus nécessaire quand elle a été initiée, car alors elle va dans le paradis céleste, la terre transformée en Jérusalem céleste. D'après Jean Maury (folio 216 b, c) ceux qui jeûnaient neuf jours dont trois d'eau et un avec de l'eau et du pain complet et qui mouraient, allaient au paradis terrestre (c'est-à dire au purgatoire) pour n'atteindre le paradis céleste sur la terre transformée, qu'à la fin du monde actuel. Jean Duvernoy a écrit, dans le volume deuxième du tribunal de L'Inquisition de Jacques Fournier, folio 216, b, c, en note 400 (61 et 393) que ceci est « un emprunt aux traditions populaires étrangères à l'albigéisme » ! Le jeûne de neuf jours était un jeûne de purification (1) « Tamen habent hereticum spiritualem, id est angelum qui eos faciet hereticos ante morte après des péchés, des fautes tornmises par des membres de l'Ordre cathare.

Selon Guillaume Bélibaste, ceux qui faisaient la révérence aux cathares éprouvaient une renaissance, ils étaient bons chrétiens et baptisés selon le rite cathare. Ceux qui ne l'étaient pas devaient aller de corps en corps, leur âme devait se réincarner. Les âmes n'iront pas au paradis céleste avant le jugement. (Doat, XXV, folio 199). Les cathares distinguaient le paradis terrestre, c'est-à-dire le purgatoire auquel l'âme accède après une vie, du paradis céleste qui sera le résultat de la transformation de la terre à la fin du monde.

Au sujet du purgatoire, Jean Maury disait que les âmes entraient au paradis terrestre (le purgatoire) et y restaient jusqu'au jour du jugement, ce qui est une erreur puisqu'elles devaient se réincarner pour arriver à la perfection au cours d'une série de vies terrestres. Il précisait cependant que les croyants ou non croyants ne pouvaient entrer au paradis terrestre après la mort que s'ils renaissaient, mais il comprenait de deux manières cette renaissance : s'ils étaient baptisés à la manière cathare ou bien si leur âme allait de corps en corps jusqu'à ce qu'elle soit initiée. Notons que si les âmes baptisées n'étaient pas obligées de se réincarner après le purgatoire, les autres devaient nécessairement repasser par ce purgatoire avant leur réincarnation. Au folio 219 b, c et c, d on lit : « Quand quelqu'un était reçu dans la secte et mourait il allait au paradis terrestre, et bien qu'il passât par le feu du purgatoire, il n'entrait pas aussitôt dans le paradis terrestre, car il passait par le feu du purgatoire qu'il sentait très peu, bien qu'il fut neuf fois plus chaud que notre feu, il y restait trois jours. Il s'agit des désirs brûlants des jouissances terrestres que ressentent les non initiés (Penser au supplice de Tantale dans le Tartare) et que ne ressentent pas les âmes purifiées. Maury est imprécis mais il ne confond pas le purgatoire avec l'enfer. En effet. selon le folio 222 c, d (XIX) Maury dit que le Christ ressuscité descendit en corps aux enfers pour en extraire les âmes de tous les hommes justes ou pécheurs qui s'y trouvaient avant sa passion (excepté l'âme de Judas lscarioth) et il y envoya le diable avec les démons. Cet enfer est l'enfer cosmique, la terre des ténèbres selon les manichéens. Le Christ envoya les âmes ainsi extraites au paradis où elles furent sauvées. Maury ne sait pas si c'est en paradis terrestre ou céleste.

Les cathares n'admettaient pas la résurrection des corps charnels au sens catholique, mais la reprise des corps spirituels que les âmes avaient avant la chute (Schmidt, t. Il, p. 50). Quand toutes les créatures auront gagné le paradis céleste le monde actuel finira.


II. - LA MORALE DES DERNIERS CATHARES



1) Principaux préceptes.


Vidal commence par exprimer à ce sujet une fausse opinion : d'après lui les cathares pensaient que le bien et le mal sont nécessaires (disons prédestinés), la volonté humaine ne serait pas libre et rien ne pourrait lui être imputé à pécher ou compter comme mérité, d'où il serait résulté que des préceptes et des prohibitions seraient inutiles. Sans doute, selon eux, la volonté humaine n'est pas libre dès l'origine, comme l'a prétendu Augustin, mais les cathares avaient le sens de la responsabilité et Vidal lui-même a écrit : Les cathares se flattent de vivre selon les préceptes de la morale la plus sévère et il semble qu'ils se plaisent à multiplier les défenses et à augmenter le nombre des péchés. Ceci montre, comme l'a expliqué le professeur Ch. Puech pour les manichéens, que les cathares avaient le sens de la responsabilité et qu'entre des impulsions bonnes et des impulsions mauvaises ils savaient qu'ils devaient choisir, et c'est ce qui explique les « pénitences » auxquelles ils se soumettaient. Les croyants qui auraient cru être lavés de toutes fautes avant leur mort par le consolament, comme le pensent les catholiques quand ils ont reçu l'extrême onction, étaient dans l'erreur, car le Rituel cathare indique nettement que ceux qui ne sont pas chrétiens doivent nécessairement se réincarner. D'ailleurs, Jacques Autier combattait nettement la fausse opinion qu'avaient certains croyants puisqu'il l'a signalée (Déposition de P. Maury, LVIII, 274, a, b : « il entendit de Jacques Autier que des croyants, à cause de cela avaient l'audace de faire le mal à d'autres hommes » (2). Il est vrai qu'il ne fallait pas manquer de confiance en Dieu, en désespérant et commettant ainsi un grave péché : (Tristitia peccatum). Pierre Maury aurait dit à Sicre que Bélibaste lui-même était le Saint-Esprit, mais c'était une erreur (folio 126 b, c). Le Père Dondaine a expliqué loyale-ment que les croyants cathares, en s'inclinant devant un bonhomme, adoraient l'esprit qui était en lui.

2) Conduite des parfaits et des croyants. 

Des abstinences étaient prescrites aux bonshommes par le Rituel. Les cathares Languedociens au commencement du XIVe siècle avaient des fonds d'Eglise. Des pièces d'or avaient été confiées à la garde de Raymond de Toulouse et par lui à un neveu, parti en Espagne et en Sicile. Leur vie était d'une grande austérité, mais ils ne pratiquaient pas des mortifications corporelles comme Dominique de Guzman qui mettait un silice autour des reins et qui se faisait flageller jusqu'à ce que le sang coule. Leur principale prière était le Pater. Alors que nul ne devait le dire (expliquait Pierre Maury), excepté les Maîtres qui sont dans la voie de la vérité. Bélibaste lui enseigna cette Oraison qu'il faisait ainsi : « Seigneur Dieu qui dirigea les rois Melchior, Balthazar, Gaspar, quand ils vinrent pour l'adorer en Orient, dirige-moi comme tu les dirigeas (folio 123 c, d), Confession de Sicre).
Prière cathare (texte et traduction selon Jean Duvernoy, Registre d'Inquisition de Jacques Fournier, tome II, pages 461-462, folio 213 b, c et c)
« Payre sant, Dieu dreyturier de bons speritz, qui hanc no falhist ni mentist ne errest ni duptest par paor de mort a pendre am mon de dieu estranh car nos no em del mon nil mon no es de nos, e dona nos a conoysher so que tu conoyshes et amar so que tu amas ; Farisiens enganadors, que estat a la porta del regne e vedaytz aquels qui intrar i voidrian, et vos autres no y voletz ; per que prec al Paire sant de bons speritz, que a poder de salvar las animas, et per bos speritz fa grenar e florir, e per raso dels bos donc vida als mals e fara mentre que i vaia al mon dels bos. e quan mica non y aura dels mieus (ais) menors dels que son dels set regnes, que avalran de paradis ansque Lucifer los ne trasch am semblansa de 'ngan que Dieus no les promes sino be, e per tal quar li diapble era mot fais que les prometia mal e be. e dys que dar lor hia molers que amarian trop e dar lor hia sen-horia uns sobre autres, et que ni auria que syrian reys e comtes e emperadors, et am hum ausel que n'pendriam autre et am huna bestia autra ; totas las gens que serian sotzmesas a els que davalarian deios e que aurian poder de far mal e be ayshy cum Dieus desus, e que trop lor valia mai que fossan dieus que poyrian far mal e be que desus on Dieus no lor dava sino be, e ayshi puierem sobre en cel de vid e aytans com ni puieron caseron e foro peritz. E Dieus devalec del cel ab XII apostols e adombrec se en sancta Maria » (392).

« Père saint, Dieu légitime des bons esprits, qui jamais ne trompas, ni ne mentis, ni erras, ni ne doutas par peur de la mort à subir dans le monde du dieu étranger... car nous ne sommes pas du monde et le monde n'est pas de nous, donne nous de connaître ce que tu connais et d'aimer ce que tu aimes. Pharisiens trompeurs, qui êtes à la porte du Royaume et empêchez ceux qui voudraient y entrer, et vous autres ne (le) voulez pas... C'est pourquoi je prie le Père saint des bons esprits, qui a pouvoir de sauver les âmes, et qui fait grainer et fleurir pour les bons esprits, qui, à cause des bons, donne la vie aux méchants, et le fera jusqu'à ce qu'ils aillent au monde des bons et (jusqu'au moment) où il n'y aura plus des miens aux cieux inférieurs qui sont des sept règnes qui descendirent du Paradis quand Lucifer les en tira, sous le faux semblant que Dieu ne leur promet que le bien, et parce que le diable était très faux il leur promettait le mal et le bien, et leur donnerait seigneurie les uns sur les autres, et qu'il y en aurait qui seraient rois et comtes et empereurs, et qu'avec un oiseau ils en prendraient un autre, et avec une bête une autre (et que) tous ceux qui lui seraient soumis et descendraient auraient pouvoir de faire le mai et le bien, comme Dieu en haut, et qu'il leur vaudrait beaucoup mieux être des dieux qui pourraient faire le mal et le bien qu'(être) en haut où Dieu ne leur donnait que le bien; et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre, et autant qu'ils y montèrent, ils tombèrent et périrent. Et Dieu descendit du ciel avec douze apôtres et s'adombra en sainte Marie ».

 Cette prière de Jean Maury venait de la secte précitée (secta prédicta), c'est-à-dire de Bélibaste. Jean de Capellis attestait que les cathares avaient des moeurs pures, une vie austère. Bélibaste reprochait aux croyants de se livrer à des turpitudes avec l'espoir de pardon à la dernière heure (sermon de Bélibaste, folio 261 b), ce n'était donc pas la faute du ministre cathare qui enseignait les réincarnations mais la faute de la mentalité ambiante catholique et la croyance du salut au dernier moment par la pénitence à l'extrême onction.


III. - LA LITURGIE ET LE CULTE DES DERNIERS CATHARES



1)      Livres sacrés et liturgiques.

Ils avaient un livre apocryphe de Jean, sans doute celui qui était indiqué comme « un faux Evangile de Jean » et que j'ai désigné du nom de Cène secrète selon les deux premiers mots du texte. L'écriture « mystérieuse » que les cathares opposaient à l'écriture diabolique devait être l'écriture occulte dont ils avaient la vision. Pierre de Luzenac a parlé d'un beau livre des évangiles et des épîtres en langue « romane » qui était aux mains de Pierre Autier. (Il est probable que c'était le Rituel cathare qui est actuellement à la bibliothèque de la ville de Lyon et dont la publication a été faite par Clédat). Les cathares avaient aussi des traités qui exposaient leur doctrine ainsi qu'un cahier expliquant l'oraison dominicale en latin que Jacques Autier donna à un croyant (Ms. 4269 latin, de la Bibliothèque nationale, folio LXIV). (Sans doute un extrait du rituel latin retrouvé par le Père Dondaine à Florence). Il y avait aussi un traité en langue vulgaire du Maître languedocien Arnaud Teisseire où se trouvaient des arguments pour les opinions cathares et. manichéennes et contre celles des catholiques.

Nous pensons ici au Traité cathare du Mlle siècle en occitan, qui a été reproduit par un contreversiste catholique, Durand de Huesca. Dans son traité contre les hérétiques (confession A. Teisseire, folio 157 b), J. Duvernoy a écrit que ce pourrait être le Traité publié par Thouzelier, mais dont il avait lui-même directement copie du manuscrit qu'il a publié dans les Cahiers d'Etudes cathares ,folio 157, note 311 et folio 75 b, c, note 159). 2) Pratiques du culte.
Les cathares se réunissaient dans les maisons des croyants. Le coeur de l'homme, disait Bélibaste, est l'Eglise de Dieu, mais l'Eglise matérielle ne vaut rien et les images du Christ et des saints qui sont dans les églises, il les appelait des idoles, et la maison de la prière est tout endroit où l'on peut se recueillir « Leur église avait des yeux et des oreilles, des pieds et des mains, elle voyait, entendait et parlait. Les croyants étaient les tibias de la Vierge Marie, ainsi que l'écrit J. Duvernoy (o.c. folio 42 c, d, et note 95. Et folio 127 a). La Vierge Marie prend ici le sens mystique d'Eglise. Ils disaient que I'Eglise romaine n'était rien, ne valait rien, parce qu'elle était de pierre et de chaux. de terre et de bois » (Confession Sicre, folio 127 a. Ms Bibliothèque nationale, latin 4269, folio XVIII). Les rites des cathares étaient la communication du Pater, le Méliorament (voir Schmidt T. Il, page 118), la fraction et bénédiction du pain (voir Guiraud, page CLX XXVII et suivantes. Schmidt II, 130. Doat XXIII, folio 204 b) et le consolament (voir T. XXIII de Doat, folio 272) (avant 1244) récit succinct d'une ordination. La cérémonie de la vêture et de l'imposition d'un nouveau nom sont indiqués dans certains documents de l'inquisition.
Voir surtout le Rituel cathare reproduit et commenté sur la base de l'édition Clédat, dans notre ouvrage : l'Eglise romaine et les cathares albigeois. Les vêtements des cathares étaient bleu foncé, mais au cours des persécutions ils portèrent un simple cordon de lin ou de laine. Vidal a écrit qu'après le consolament le frère initié recevait la recommandation de ne plus boire ni manger sauf de l'eau fraîche pour calmer la fièvre et d'attendre la mort dans la diète. Cette interprétation de l'endura est complètement fausse et elle n'est pas dans le texte de Schmidt qu'il cite : Nous y lisons que le jeûne de 40 jours n'est pas suivi de mort (Schmidt II, page 128). Et d'ailleurs ce jeûne ne durait pas 40 jours. Nous avons lu au folio 216 b, c, que l'endura était prescrite aux « parfaits » qui avaient commis une faute peu grave, elle consistait en une période de jeûne de 9 jours par une série de 3 jours dont 2 à l'eau et le troisième à l'eau et au pain complet. Après ce jeûne, les uns étaient guéris, d'autres demandaient de la nourriture qu'on leur donnait. Ces jeûnes ne pouvaient pas dépasser 9 jours, ce qui prouve que ceux qui succombaient au bout de cinquante jours n'avaient pu durer ainsi qu'en prenant de la nourriture. On peut lire, au sujet de l'endura, la note pertinente de J. Duvernoy dans le tome I, o.c., page 235, note 93 du folio 41 b.


IV. - LA PRÉDICATION DES DERNIERS CATHARES



Vidal a écrit « Les ministres cathares n'étaient pas seulement des « consolateurs d'âmes », des moines et des ascètes; ils étaient aussi catéchistes et prédicateurs, apôtres et missionnaires; il ne leur suffisait pas de prêcher d'exemple, il leur fallait prêcher par la parole, instruire et moraliser. On savait qu'ils n'avaient pas manqué de le faire. Il ne se passait pas de réunion de fidèles, si modeste qu'elle fût, dans laquelle ils ne parlâssent de Dieu, du diable et de leurs luttes, des âmes déchues, des moyens de salut, de la secte cathare, des abus de l'Eglise romaine et d'autres encore ». Et il ajoute « le manuscrit de Jacques Fournier donne des canevas des sermons des bonshommes par des croyants, mais résumés, souvent en désordre, faits par des gens peu cultivés, sur des événements datant de cinq, dix et parfois vingt ans. De plus, le notaire traduit en latin d'où des obscurités, mais on peut y retrouver la substance de l'enseignement cathare. On peut même distinguer la manière de chaque prédicateur ». Pierre Autier a fait deux allocutions. Selon Arnaud Sicre rapportant les propos de Pierre Maury (voir J. Duvernoy, t. II, o.c., folio 121 c, d), Pierre Autier a dit : « Il n'est personne qui, ayant déjà la compréhension du bien (la entendensa del be) ne veuille librement se tenir au bien, car, dit-il, un homme ne sait quand il mourra, il est opportun qu'il s'efforce d'être près du bien, de sorte que s'il lui arrivait d'être malade, il puisse avoir le bien, parce que, vers ceux qui sont reçus à leur fin par le Maître de Morélas et par d'autres Maîtres, XLVIII anges viennent et portent leur âme au paradis. Et si un homme ne peut pas avoir des Maîtres à sa fin, après qu'il ait eu foi en eux et qu'il les demande, s'Il n'a pas des Maîtres terrestres qui le reçoivent, il en aura de spirituels. Cependant il vaut toujours mieux qu'un homme ait des maîtres à sa fin », car, comme il le disait : « Dieu leur a donné ce pouvoir que ce qu'ils feraient  eux-mêmes sur la terre, le Père céleste le ferait dans les cieux et reçus par eux ils sont absous aussitôt de tous leurs péchés, quelques péchés qu'ils aient faits et aussitôt leurs âmes s'en vont après la mort au paradis. Et voyez ce que font les maîtres quand ils ont reçu quelqu'un parce qu'après sa mort ils s'abstiennent de toute nourriture et de toute boisson et ils sont en oraison pendant le dit temps, priant le Père céleste, priant pour l'âme de celui qu'ils ont reçu, car ils disent que l'âme met trois jours avant de pouvoir aller au Père céleste après être sortie du corps. Les frères prédicateurs ou mineurs qui, bien qu'ils s'appellent mineurs, sont cependant trop grands, ne font pas ainsi, eux qui après que quelque mort leur est amené ou s'éloignent d'eux pleurnichent (udolant ?). Et croyez-vous qu'à cause de leurs gémissements l'âme du mort va au paradis ? Non, et après qu'ils les ont ensevelis, ils se mettent à d'autres tables (Matth. 23, 6).  Et ceci dit, il ajoutait : 0 tros de palis ! et croyez-vous que les grandes maisons qu'ils ont, ils les ont construites du travail de leurs mains ? Non, mais les Maîtres vivent de leur travail ». Et parlant contre les dits Frères il ajouta : « A dels lobasses qui, dans la vie et la mort, veulent nous dévorer ». Alors le dit Pierre Maury, répondant à ce qu'il avait en parlant dit de lui-même, dit qu'il était pauvre à cause de sa mère susdite et il dit qu'il ne se guérirait pas de la pauvreté, que seulement un homme suivrait leur bonne et sainte voie, car comme il a dit ce n'était pas quelque infirmité dont un homme serait ainsi guéri facilement, car, comme il a dit lui-même, il avait été appauvri trois fois, et cependant alors if était plus riche qu'il ne l'avait jamais été. En effet, il avait été appauvri d'abord dans la vallée d'Arques quand Ramon Meulen et beaucoup d'autres du dit lieu allèrent se confesser au Pape « et alors moi j'avais la valeur de deux mille sous et je perdis tout. Ensuite, j'abandonnais ma fratrisiam (la part d'héritage) que j'avais à Montolieu et je n'osais pas y aller pour la réclamer. Ensuite je nie louai comme berger avec Berthomieu Bourrel de Ax et ensuite avec Ramond Barri de Puigcerda. Et comme j'avais été payé avec eux sous, je les confiai à un certain compatriote en terre de Urgell et ensuite il me les refusa. Cependant, maintenant je suis riche, car chez nous c'est l'habitude, et ainsi Dieu ordonna que si nous n'avons qu'une seule obole nous la partagions avec nos frères indigents ». Selon Pierre Maury (folio 251 b de 52 d, 255 z), Guilhem Bélibaste en sept catéchèses des Ecritures critique l'Eglise romaine comme nous l'avons dit ci-dessus. Il expliquait aussi la parabole des talents et des ouvriers loués par le père de famille (confession Sicre, folio 122 bb').

Quand le Fils de Dieu allait sur la terre, il dit à ses amis que lui-même avait VIII talents dont il en donna un à son ami, un deuxième à un autre et cinq à un autre. Quand il fut revenu après quelque temps, il demanda à celui à qui il avait donné un talent ce qu'il en avait fait et celui-ci répondit qu'il l'avait gardé et il lui rendit le dit talent. Le second vraiment pour deux en rendit quatre et le troisième pour cinq en rendit dix. Ceux qui avaient multiplié les talents furent approuvés par le Maître et maudit celui qui ne les avait pas multipliés ». Et s'expliquant il dit que puisque Dieu lui a donné de comprendre le bien, il voulait se répandre lui-même par la prédication, et il aimait mieux «avoir un croyant que tout l'or du monde.

1)      Les bonshommes fils de Dieu et Saints-Esprits.


Pierre Autier prêche que la Vierge Marie, la mère de Dieu, n'était qu'une bonne volonté et qu'une bonne proposition de faire quelque bonne oeuvre conforme à l'Evangile : « Qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux est mon frère et ma soeur et ma mère » (Matthieu, XI, 50: Jean II, 4), c'est-à-dire qu'il n'était pas digne de penser et de croire que le Fils de Dieu serait né d'une femme ou que dans une chose aussi vile qu'une femme le Fils de Dieu s'est obscurci. (Sermon de Pierre Autier 202).
Selon Pierre Maury, G. Bélibaste disait ,‹ ceux de l'Eglise romaine présentent le pain et mangent et disent ensuite : Ceci est le Corps de Dieu, et pourtant ce n'est que du pain, du pain bénit (Matthieu XXIV/23: Marc XIII, 21. Sermon G. Bélibaste, folio 262 b). Le pain et le vin de l'Eucharistie, c'est la parole de Dieu selon le Chapitre de l'Apocalypse de Jean (10, 9) accipite et manducate : Prends-le et avale-le (Ms. latin 4269, Bibliothèque nationale, folio UV V('). Il est singulier que Vidai trouve que les bonshommes enseignent l'Evangile quand ils ont recours à des contes et à des fables, car Jésus, précisément, a parlé souvent en paraboles et quand Vidal parle de l'homme qui est ravi dans le ciel alors précisément que les bonshommes se référaient à « l'ascension d'Isaïe qui était entre leurs mains et qui, selon le cardinal Daniélou est l'expression de l'enseignement ésotérique de Jésus à ses apôtres (Communication faite à Zurich, publiée par Erdnvsbuch, Zurich : !es traditions secrètes des Apôtres).

Les cathares se moquaient des indulgences. a écrit Vidal, faute d'en saisir la raison. Tout de même la révolte de Luther contre ce trafic qui, paraît-il, continue encore de nos jours, avait sa raison d'être. Et le ministère des mauvais prêtres. Les bonshommes savaient bien comment l'Eglise romaine l'expliquait. ils savaient qu'elle prétendait qu'un mauvais prêtre pouvait exercer des sacrements d'une manière valable. Nous avons eu un exemple remarquable de cette prétention, celui du curé d'Uruffe qui éventre une fille qu'il avait engrossée et qui baptise l'enfant avant de le tuer. Les cathares soutenaient qu'un rite n'était valable que si le prêtre qui l'exerçait était pur. Bélibaste prêche aux croyants la régularité et la moralité de leur vie. Il est cependant obligé de reconnaître qu'ils ne tiennent pas toujours compte de ses conseils. (Déposition Pierre Maury, XXIII, folio 270 b, c).


2) Résultats de la campagne néo-albigeoise selon Vidal.


Ax, la patrie des Autier, sert de base à tout le mouvement, les Pyrénées et le Sabarthés sont la limite sud de ce champ d'action. De là, les cathares gagnent les plaines de la Catalogne : documents consultés : le Ms 4030 de la bibliothèque du Vatican, 4269 de la bibliothèque nationale (fonds latin), le liber sententiarum de Bernard Guy, Doat XXVII et XXVIII (entre les années 1323 et 1329, folio 147 du t. XXVII), il y a une liste de cathares pénitents qu'a sans doute connus Pierre Autier. Autier franchit au moins une fois les Pyrénées au col de Puymaurens et à Carole près de Puigcerda, puis vers les plaines du Nord. Son domaine était bordé à l'est par le cours supérieur de l'Aude jusqu'à Limoux et Arques, coupait l'Agout à St-Paul de Cap de Joutx, le Tarn à Albi, allait jusqu'à Montauban et Castelsarrasin, et à l'ouest le cours de la Garonne jusqu'à Toulouse, (sauf une pointe vers Grand-selve et Beau Puy). Ensuite, il avait pour limite le cours de l'Ariège jusqu'à sa source. Il comprenait donc le Comté de Foix, le Toulousain, le Haut-Languedoc, le bas Quercy, une partie de l'Albigeois et le Lauragais, la vallée de l'Aude, le Capcir, une partie du Fenouillèdes, le Donezan et le pays de Sault, donc un théâtre très étendu.
Les bonshommes avaient des adhérents dans 125 villes ou villages; 48 étaient de l'Ariège et particulièrement dans les cantons de la haute-vallée (arrondissement de Foix), autant dans la Haute-Garonne, une dizaine dans la vallée de l'Aude et le Carcassès, dans le Capcir, Hautes-Corbières et le pays de Sault (arrondissement de Limoux).

ll est difficile de fixer le nombre des croyants de Pierre Autier. On en a compté près de six cent cinquante de 1308 à 1329. (Voici les noms de croyants les plus dévoués à Limoux : Martio François, Pons Coutellier, Guilhem Sabathier, etc. ; à Arques : Raymond Peyre et sa famille, Maison Botolh ; à Cubières la famille Féribaste...). Plus de trois à quatre cents ont été saisis plus tard per les juges avec un millier de croyants, mais il y en avait beaucoup plus de nombreuses familles et des villages entiers étaient cathares comme Ax. Montaillou, Junac...Cependant. les adhérents étaient de conditions modestes, laboureurs, pâtres, artisans, des bourgeois, quelques rares nobles et quatre ecclésiastiques. Cependant J. Duvernoy (note 248, page 60 du tome II du Registre d'Inquisition de J. Fournier), relève les traits aristocratiques des parfaits. Bélibaste et Tavernier détonaient parmi eux. Pierre Autier selon Sybille d'Arques (Ms 4030, folio 206 b) a donné le consolament au Comte de Foix Roger Bernard III mourant. Arnaud de Châteauverdun, son sénéchal, était d'une famille cathare ainsi que plusieurs autres seigneurs. Cependant le même comte de Foix avait saisi les biens de Pierre Autier. « L'abstention des grands et des forts fit avorter la tentative... Ces braves gens se montraient pleins de courage et de bonnes intentions quand leurs bonshommes étaient près d'eux ; dès que ceux-ci eurent disparu, l'indifférence reprit son empire... en somme l'Eglise albigeoise fondée par Pierre Autier n'eut point de vie sociale; elle n'osa pas s'affirmer ou n'en eut pas la force ».


3) Guilhem Bélibaste et sa petite Eglise cathare en Catalogne.


Les exilés du Sabarthès formèrent autour de Bélibaste, l'héritier de Pierre Autier, un groupe qui représenta en Catalogne, pendant plus de dix ans, l'Eglise albigeoise française. Guilhem Bélibaste était né à Cubières (Ms. -4030, folio 204 a). Il avait quatre frères, il était pâtre et on ne sait dans quelle circonstance il aurait tué un de ses pareils (Ms. 4030, folio 256). Arrêté vers 1310, avec Philippe d'Alayrac, il s'évada de la prison de Carcassonne et il se réfugie en Catalogne vers 1312. Il fut surnommé Penchenier, car il fabriquait des peignes (Pectines textorum). Il se mettait parfois au service de ses croyants comme pâtre. En 1314, il avait passé, comme pâtre, trois mois dans la bergerie de Pierre Maury et de Guilhem Maury, à Plana de Garia, près de Tortoze (Taragone) (folio 247 d, 248 a, 258 b, c). Vers 1315, il se fixe à Morella dans les monta-gnes de Valence pendant 6 ans et il préside des réunions à San Mathéo, ville voisine. Il vit trois ans en compagnie de Raymond de Toulouse et de St-Papoul, puis il prend pour compagne une croyante fugitive, Raymonde Marty, femme de Piquier de Tarascon (Ms. 4030, folio 121, référence inexacte : nous trouvons au folio 248, à l'indication de la présence à Morella de Bélibaste avec Ramonda et la soeur de celle-ci, Blanca, mais rien au sujet d'une prétendue faute de Bélibaste). Cependant Guilhem Maury expliquait que « les chefs se couvraient mieux qu'autrement en amenant et tenant avec eux une femme, car les gens voyant qu'ils ont des femmes avec eux, croient que ce sont leurs femmes légitimes (uxores) et ainsi on ne les croit pas hérétiques. Cependant, bien qu'il leur soit permis d'habiter avec une femme dans la même maison, ils ne la touchent jamais. Bien plus, si seulement ils tendaient la main vers une femme pour la toucher, ils ne devaient ni manger, ni boire de trois jours ni de trois nuits. La femme qui est avec le Maître (Bélibaste) lui fait la cuisine et le lit, et pour que les voisins ne croient pas que la dite femme n'était pas son épouse légitime il achetait de la viande le dimanche et le jeudi et la lui apportait. Quand il avait pris la viande de ses mains, il les lavait 3 fois avant de manger et de boire. Les autres jours, la dite femme mangeait les aliments que mangeait le dit Maître (Bélibaste). Le dit hérétique lui a dit que lorsqu'il séjournait en quelque endroit, ils couchaient dans deux lits bien séparés, lui et la dite femme, mais quand ils étaient en voyage ils se disaient mariés et ils se mettaient dans un seul lit, vêtus toutefois de telle sorte que l'un ne touchait pas le corps de l'autre » (Ms. 4030 folio 122).

G. Bélibaste n'était pas un paysan grossier comme l'a écrit Vidal et ses prédications n'étaient pas extravagantes, mais pleines de sens et de souvenirs gnostiques comme l'a vu le professeur Ch. Puech, puisqu'il expliquait qu'on ne pouvait aller au ciel qu'en étant homme et que la mère de Jésus serait homme, ce qui nécessitait chez lui la croyance à l'androgynat futur des êtres humains. En fait, un groupe de croyants se forma autour de lui, ils étaient originaires des centres ariégeois. Leur lieu de réunion était la maison de Guillemette Maury, à San Matéo. Arnaud Sicre, pour recouvrer les biens de sa mère, Sybille d'En Balle, chercha à livrer l'hérétique à l'Inquisition. Il alla en Catalogne, rencontra Guillemette Maury à San Matéo et entra dans le groupe. Cependant, en 1319, il fit part à Jacques Fournier de sa découverte. Celui-ci lui remit une somme d'argent et l'autorisa à jouer le rôle de croyant. Quinze jours avant la Noël 1320 il reparut à San Matéo et engagea Bélibaste à rentrer en France. Il partit avec son groupe et se fit arrêter avec Bélibaste à Tirbia, sur les terres du Comte de Foix. Son extradition fut ordonnée par le Pape. Peu de temps après, le ministre cathare fut condamné pour son obstination par sentence de l'archevêque de Narbonne et brûlé à Villerouge, actuellement Ville-rouge-Termenès, dans le canton de Mouthoumet (arrondissement de Carcassonne) (Ms. 4030, folio 204 b, folio 267 d) Jacques Fournier, qui interrogea Arnaud Sicre !e 21 octobre 1321, a recueilli de lui un renseignement du plus haut intérêt sur les doctrines cathares et les disciples de Bélibaste. Le 13 janvier suivant, l'évêque et les inquisiteurs réunis à Carcassonne félicitèrent leur espion qui reprit ses exploits et alla faire arrêter d'autres disciples de Bélibaste, particulièrement Jean et Pierre Maury, revenus de Majorque, qui furent extradés et condamnés le 12 août 1324, par Jacques Fournier, à la prison perpétuelle. « Ils firent des récits fort longs sur leur vie dans l'exil » (Ms. 4030, folio 213 Ne d, 224 b, 249 a, 274 d et Doat XXXVIII, folio 66). Arnaud Sicre, fils et frère de cathares, suspect lui-même d'hérésie, s'était livré à l'espionnage pour se réhabiliter. « Les inquisiteurs étaient des esprits subtils » a écrit Vidal. Nous voyons en effet qu'ils savaient manier cette casuistique selon laquelle la fin justifie les moyens. En effet, « ces esprits subtils estimaient que le noble but poursuivi par eux gardait de toute tache d'immortalité les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre ».






Autres liens :

https://editionsdulaurier.fr/les-cathares-amis-de-dieu-et-de-la-verite/
http://www.esoblogs.net/IMG/pdf_deodat-2.pdf
http://tradition-sabarthez.com/wp-content/uploads/2012/09/le-catharisme1.pdf
http://culture.topexpos.fr/dossiers/dossiers-en-pdf/cat2003t-le-catharisme.pdf
http://dtserv3.compsy.uni-jena.de/ws2012/mahis_uj/85010179/content.nsf/Pages/B861CCF4108C2B6DC1257AA00047C2C2/$FILE/InterrrogatioIohannis1.pdf


Commentaires

  1. trés bel article complet qui rappelle que pour revenir aux souces de notre essence le chemin sera ardu, épuisant les plus forts Le catharisme jure viollement avec notre époque,mais il a plus d'avenir qu'elle sous la forme que necessiters le futur

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